1 Introduction
Nous avons vu l'apparition des solives métalliques à double T en France dans les années 1840 dans un article précédent. L'intervalle entre les solives métalliques, appelé entrevous, est souvent rempli par un hourdis en plâtre et plâtras sur un treillage métallique, constitué d'entretoises et fentons (ou côtes de vaches).Fig 3: Treillage métallique d'un hourdis en auget - A. solive B. entretoise C. fentons
d'après Jolly et Joly (1863 [3])
scanné par la BNF
d'après Jolly et Joly (1863 [3])
scanné par la BNF
2 Historique
Les hourdis en auget avec entretoises coudées et fentons métalliques (Fig. 3 ci-dessus - appelé notamment système Roussel) est un des multiples systèmes d'hourdis mis au point dans les années 1850 pour permettre l'utilisation des nouvelles solives à double T (voir Chapron 1860 [1] pour une synthèse des systèmes existants à cette époque). Si le dimensionnement des solives métalliques est présenté en détail dans les traités de construction des années 1850-1900 (voir par exemple Morin 1853 [4], Jolly et Joly 1863[3], Denfer 1894 [2]), le dimensionnement des entretoises et des boulons est plus rarement évoqué. Des fourchettes des dimensions utilisées habituellement sont indiquées, mais sans plus de précisions dans la plupart des cas. Par exemple Jolly et Joly indiquent (1863[3]) :Alors que le choix des solives métalliques est à l'époque déjà réalisé par le calcul pour s'adapter aux portées, aux entraxes, aux surcharges d'exploitation attendues, la liberté laissée aux constructeurs semble assez grande pour le choix des systèmes de hourdis. Cette liberté n'est pas due au fait que ces hourdis seraient en règle générale largement sur-dimensionnée, puisque l'on retrouve dans les traités les critiques des différents systèmes de treillage métallique, et notamment celui que nous allons étudier ici. Si nous poursuivons la lecture de Jolly et Joly, on découvre que ces derniers proposent un nouveau système de hourdis, utilisant des entretoises plus espacées mais assemblées par gousset aux solives, et où les fentons sont remplacées par des cornières ((Fig. 4)).Avec le système actuel [à entretoises coudées et fentons], il est admis comme règle générale d'exécuter les chevêtres [entretoises] en fer carré de 16, 17 ou 18 millimètres suivant l'écartement des solives, et de varier l'espacement des carillons [fentons] de 11 millimètres, de 0m25 à 0m30.
Fig 4: Treillage métallique d'un hourdis en auget, avec "entretoises rigides"
d'après Jolly et Joly (1863 [3])
scanné par la BNF
d'après Jolly et Joly (1863 [3])
scanné par la BNF
3 Fonctionnement structurel du hourdis en auget
3.1 Démarche
Nous considérons un treillage métallique ayant les caractéristiques suivantes, représentatives d'un hourdis en auget type :- entretoises coudées : fer carré de 20mm de côté, portant sur 70cm (entraxe des solives), avec un entraxe de 100cm
- fentons : fers carrés de 10mm de côté, portant sur 100cm (entraxe des entretoises). 2 fers par travée, soit un entraxe de 24cm.
- hourdis en plâtre et plâtras de 14cm de haut sur les bord, et 8cm au centre
3.2 Hypothèses
Nous posons les hypothèses suivantes sur les matériaux et les charges. Les valeurs indiquées ci-dessous n'ont rien d'absolu, et pourraient varier de façon importante. Les résultats donnés dans la suite sont donc liés à ces choix qui sont partiellement arbitraires. Il ne faudra donc pas s'attacher dans la suite aux résultats numériques en eux-même, mais plutôt aux ordres de grandeur qu'ils fournissent. Hypothèses sur les matériaux On prend comme résistance caractéristique de calcul dans la suite $\fyk $=235MPa pour la limite élastique du fer puddlé (voir nos précédentes indications sur la résistance du fer puddlé). Nous prendrons 20kg/cm2 pour la résistance moyenne du plâtre, avec un facteur de sécurité de 10 pour obtenir la résistance admissible à la compression (tout en admettant que ces hypothèses sont arbitraires). Hypothèses sur les charges On considère dans la suite une surcharge d'exploitation de 150kg/m2 correspondant à des logements. On considère de plus le poids propre des entretoises et fentons, le poids propre du hourdis (1000kg/m3 pour plâtre), et 30kg/m2 pour un plancher bois sur lambourde.3.3 Travail en flexion du treillage
Si l'on considère que le treillage a pour fonction de reporter l'ensemble des charges sur les solives, en fonctionnant comme de petites poutres (sur de petites portées), il est possible de calculer les contraintes de flexion et les flèches2. On observe alors que dans notre exemple les entretoises sont correctement dimensionnées à l'ELU, mais qu'elle dépassent légèrement un des deux critères de flèche (110%). Les fentons sont quant-à eux largement sous-dimensionné à L'ELU (160% de la contrainte admissible) et à l'ELS (entre 700 et 900% de la flèche admissible). Si nous modifions temporairement le dimensionnement des entretoises et des fentons à 25mm et 15mm (au lieu de 20mm et 10mm jusqu'à présent), toute chose restant égale par ailleurs, les choses s'améliorent pour les entretoises : elles sont alors correctement dimensionnées. Cependant cette augmentation de section pour les fentons reste insuffisante à l'ELS, où la flèche est toujours trop importante (entre 140 à 190% de la flèche admissible). Les résultats numériques ci-dessus n'ont pas de valeurs en eux-même, et ne présentent qu'un cas particulier. Cependant cet exemple semble indiquer que si les entretoises peuvent effectivement servir à rapporter les charges sur les solives, les fentons sont quant-à eux sous-dimensionnés pour travailler seuls en flexion. En effet dans ce cas la flèche des fentons conduirait à l'apparition de fissures sur le plafond en plâtre. Nous pensons donc qu'il faut considérer de plus la formation d'une voûte plate dans le hourdis pour expliquer sa portance. Voyons maintenant comment.3.4 Hourdis considéré comme une voûte plate
Nous pouvons considérer deux sens de portée de la voûte plate formée par le hourdis. Le premier sens de portée est perpendiculaire aux solives. Les charges et poussées du hourdis sont alors reportées sur l'aile inférieure de la solive métallique. Dans ce cas les entretoises et les fentons ne sont plus sollicités. Le second sens de portée est parallèle aux solives. Les charges et poussées du hourdis sont alors reportées sur les entretoises. Dans ce cas seuls les fentons ne sont plus sollicités. Dans les deux cas il est très facile de trouver des lignes de pression intérieures au hourdis. Cependant plus le coefficient de sécurité géométrique sera important, plus la poussée sera importante, et c'est cette dernière qui est le critère dimensionnant pour cette analyse comme nous le verrons. En s'imposant à avoir partout un coefficient de sécurité géométrique3 de 2,0 pour les lignes de pression considérés, nous trouvons les résultats suivants :- pour le sens de portée perpendiculaire aux solives
- poussée $\Hmin(\cgs=2)$ = 320 daN/ml (ELS)
- coefficient de rupture correspondant $F$ = 26,2 > 10
- pour le sens de portée parallèle aux solives
- poussée $\Hmin(\cgs=2)$ = 705 daN/ml (ELS)
- coefficient de rupture correspondant $F$ = 11,7 > 10
Fig 5: Ligne de pression du hourdis en auget
à g. coupe perpendiculaire aux solives, à d. coupe parallèle aux solives
à g. coupe perpendiculaire aux solives, à d. coupe parallèle aux solives
3.5 Conclusion sur la portance
On pourra objecter, à raison, que les hourdis en auget à entretoises coudées et fentons ne sont peut-être pas prévus pour fonctionner comme des voûtes par leurs constructeurs, et qu'il existe des cas où il n'existe pas de mur pour reprendre les poussées des hourdis-voûtes. Cependant il faut remarquer que nous avons considéré jusqu'à présent les fonctions structurelles de manière isolées, en leur faisant porter toute les charges. En réalité, les charges vont solliciter à la fois la résistance en flexion des entretoises et des fentons, la voûte-hourdis dans la première direction, et la voûte-hourdis dans la seconde direction. Il n'est pas possible évidemment de déterminer exactement quelle va être la contribution exacte de chaque effet, néanmoins il est probable que la voûte poussant perpendiculairement au solive soulage de façon assez importante les entretoises et fentons, sans toutefois se substituer totalement à ces dernières. La forme en auget du hourdis n'est pas favorable à la formation d'une voûte plate, car elle diminue grandement la flèche disponible pour la poussée. L'amélioration de ce système passe donc par la suppression de l'auget, pour former un hourdis plein (comparer les figures 5 et 6). Denfer avancera de nombreux arguments pour l'adoption de ces hourdis pleins, dans lesquel les entretoises et fentons sont supprimés et remplacés par des boulons destinés à reprendre la poussée du hourdis perpendiculairement aux solives (1894 [2]).Fig 6: Ligne de pression du hourdis plein
à g. coupe perpendiculaire aux solives, à d. coupe parallèle aux solives
à g. coupe perpendiculaire aux solives, à d. coupe parallèle aux solives
- L'état du plâtre dans le cas de la prise en compte d'un effet de voûte est particulièrement importante. Un plâtre dégradé (plâtre mort) conduit probablement à une forte diminution de portance4 du hourdis.
- L'état des pièces métalliques doit être conforme au calcul. En réalité dans les bâtiments anciens il arrive que ces pièces soient corrodées jusqu'à la rupture. La faible section des entretoises et en particulier des fentons ne permet pas de négliger ce phénomène.
- Concernant le plâtre les hypothèses prises ici pourraient être revues dans le futur suivant les informations réunies (article à venir). En effet certains auteurs indiquent 1200kg/m3 voir 1400kg/m3 pour la masse volumique du plâtre et plâtras, et 50kg/cm2 pour la résistance à la compression. D'autres auteurs soulignent que les matériaux de démolition utilisés à Paris conduisent parfois à des hourdis de piètre qualité etc.
4 Conclusion
Il faudra donc réaliser une étude au cas par cas dans le cas de rénovation de planchers anciens de ce type, où les hourdis portent directement les charges. Nous avons montré sur un exemple que le fonctionnement en flexion du treillage métallique ne permet pas d'expliquer à lui seul la portance du hourdis. Le fonctionnement en voûte des hourdis en auget permet donc de soulager le treillage métallique d'une partie des charges. S'il n'est pas possible de chiffrer précisément cet effet, on peut néanmoins en voir une illustration dans les caves humides, où la corrosion conduit parfois à la disparition de quelques fentons, sans que parfois le hourdis ne immédiatement marque de faiblesse particulière suite à cette disparition.Article mis en ligne le : 02/02/2013.
Révisé le : 03/03/2013.
Bibliographie
- [1]
- L. CHAPRON : Etudes sur les planchers en fer, comprenant l'examen de 24 systèmes différents. Nouvelles annales de la construction, sept. 1860.
- [2]
- J. DENFER : Charpenterie métallique - Menuiserie en fer & Serrurerie, vol. 1 de Encyclopédie des travaux publics. Gauthier-Villars, Paris, 1894.
- [3]
- C. JOLLY et T. JOLY : Études pratiques sur la construction des planchers et poutres en fer, avec notice sur les colonnes en fer et en fonte. Dunod, Paris, 1863.
- [4]
- A. MORIN : Leçons de mécanique pratique - résistance des matériaux. Librairie de L. Hachette et Cie, 1853.