1 Introduction
Le bon dimensionnement des charpentes anciennes est le plus souvent montré par l'expérience. Il n'est pas nécessaire de se lancer dans de longs calculs pour montrer qu'une charpente sans désordres en place depuis plusieurs centaines d'années est stable. Cependant, lors d'un aménagement, il peut être nécessaire de modifier la charpente : ajouter de nouvelles charges, créer des ouvertures, supprimer ou modifier des éléments de charpentes existants. Il faut alors démontrer la stabilité de la charpente modifiée, et pour cela estimer la capacité portante des assemblages. Parmi les assemblages traditionnels des charpentes en bois françaises, les assemblages à tenon et mortaise tiennent une place de choix depuis le XIIe siècle (Hoffsummer 2002 [16]). Ils permettent de transmettre par contact les charges de compression de la pièce portant le tenon sur la pièce portant la mortaise. Si l'assemblage est muni d'une cheville, il peut alors transmettre également des efforts de traction. Nous nous intéressons dans cet article à l'évaluation de la capacité portante en traction de ces assemblages. La norme actuellement en vigueur pour le dimensionnement des structures en bois (Eurocode 5 [8]) ne donne aucune indication pour le calcul de la traction admissible dans un assemblage par le seul moyen de chevilles en bois. S'il est parfois possible de montrer le bon dimensionnement d'une charpente en négligeant la résistance à la traction fournie aux assemblages par les chevilles, Cependant ce mode de calcul conduit à sous-estimer la stabilité réelle des charpentes. Il y a donc un intérêt réel à estimer ces résistances. Les sources disponibles sur les chevilles correspondent à trois domaines :- l'archéologie du bâti : relevés de charpentes et synthèses sur l'évolution des charpentes en France ;
- les règles de l'art : publiées dans les traités sur la construction en bois ou transmises oralement, ces informations correspondaient d'une certaine manière à nos normes actuelles, et sont toujours utilisées de nos jours ;
- la recherche expérimentale : compte-rendus, rapports et articles qui détaillent les résultats des expériences menées sur les assemblages avec cheville pour déterminer les modes de calcul et les facteurs d'influence sur la résistance et la rigidité des assemblages chevillés. Ces expériences visent généralement à établir des règles de dimensionnement pour la production de nouveaux assemblages, et non à vérifier le dimensionnement des assemblages anciens.
2 Anatomie des chevilles
2.1 Définition
Les chevilles en bois étudiées ici sont des tiges, de section réduite par rapport aux sections qu'elles assemblent, traversant de part en part l'assemblage. Ces tiges fonctionnent au moins en double cisaillement (assemblage à tenon et mortaise). Elles ne sont munies d'aucun système permettant la reprise d'un effort de traction selon leur axe (absence de clavette).2.2 Matériau
La cheville est généralement choisie dans un bois plus résistant et plus rigide que le bois de l'assemblage lui même. De plus le façonnage par fendage permettait de garantir l'absence de défaut, et donc la qualité du matériau choisi (voir infra). En France, les chevilles sont presque exclusivement en feuillu : acacia, frêne ou chêne sont les essences les plus utilisées aujourd'hui. Les chevilles relevées par Epaud (2007 [12]) sur les charpentes romanes et gothiques en Normandie sont presque exclusivement en chêne, à deux exceptions près (noisetier). Certaines sources écrites mentionnent l'utilisation de bois vert lors de la taille des chevilles, afin de faciliter le fendage du bois (Epaud 2007 [12]). Elles pouvaient ensuite être stockées dans un endroit sec de l'atelier, afin de permettre la création d'un frettage naturel (par dilatation) après leur mise en place (Segovia-Brandt 2010 [22]). Nous verrons lors de la présentation du mode de calcul de la capacité portante que cet effet de frettage n'est cependant pas pris en compte. Les chevilles pouvaient également être en métal, et ce dès le XIIIe siècle ; cependant les sources sur ce sujet sont lacunaires (Timbert et Dillman 2010 [26]). En Normandie, Epaud donne des exemples de chevilles métalliques datées du début du XIIIe à la cathédrale de Rouen (2007 [12, p.121]). L'Héritier donne également l'exemple de chevilles métalliques utilisées dans le beffroi de l'église Saint-Ouen, à Rouen, au début du XVIIIe siècle (2007 [17, p.296]). Cet usage du métal pour les chevilles connaîtra un développement au XVIe siècle, avec l'apparition des boulons à clavettes (voir par exemple Alix 2010 [1]). Notre étude se limite dans la suite aux chevilles en bois.2.3 Dimensions et formes
Les dimensions et les formes des chevilles et des enlaçures2 sont variables. Les chevilles étaient de section carrée ou rectangulaire, éventuellement chanfreinées, puis circulaires à partir du XIIe siècle dans le Nord de la France (Hoffsummer et al. 2002 [16]). Epaud indique qu'en Normandie, les chevilles sont carrées ou rectangulaires pendant la période qu'il étudie : XIe-XIIIe siècle. Il ajoute qu'elles évoluent vers une section hexagonale voire circulaire vers le XVe-XVIe siècle (2007 [12, p.118]). Les formes des chevilles varient suivant les régions et les pays. On peut noter par exemple que les chevilles sont encore aujourd'hui de forme carrée en Asie. Nous n'avons pas pu réunir suffisamment d'informations sur les diamètres des chevilles et les dimensions des tenons pour effectuer une synthèse sur la question. Nous pouvons seulement noter les points suivants :- Les diamètres courants des chevilles pour les charpentes romanes et gothiques en Normandie vont de 20 à 30mm (Epaud 2007 [12]).
- Les dimensions des chevilles ne sont généralement pas côtées dans les compilations de relevés de charpente que nous avons pu consulter (comme par exemple Rocard 1991 [19] ou "Les églises en pan de bois : Champagne" 1982 [7] - sur l'ensemble de ces volumes, on trouve seulement deux indications de dimensions de chevilles).
- Le rapport technique publié par le TFEC [9] pour les charpentes construites actuellement aux Etats-Unis indique que les diamètres des chevilles doivent être compris entre 19mm (0,75") et 32mm (1,25"). Cette restriction a pour origine les informations disponibles obtenues par tests expérimentaux : aucun test n'a été réalisé sur des chevilles d'un diamètre inférieur à 0,75" ou supérieur à 1,25".
- Dans les traités sur la construction en bois du XIXe, certains auteurs indiquent le rapport du diamètre de la cheville sur l'épaisseur du tenon md/t2 : par exemple Barré (1896 [3]) indique que ce rapport doit valoir 1/4. Cependant la plupart des auteurs sont muets quant aux dimensions à donner à la cheville et aux différents éléments de l'assemblage.
- Le rapport $\d/\tb $ est très utile pour comprendre le fonctionnement mécanique de la cheville (et les modes de ruptures à attendre). Il est cependant rare que les informations sur le diamètre de la cheville et sur l'épaisseur du tenon soient simultanément disponibles sur les relevés publiés, ce qui est compréhensible étant donné la difficulté de relever les assemblages en place. Le rapport $\d/\tb $ semble être compris entre 1/7 et 1/2 (point à vérifier) pour les charpentes que nous étudions, mais il existe également des chevilles larges sur lesquelles ont été conduits des tests aux Etats-Unis. Eckelman et Haviarova (2007 [11]) utilisent des chevilles dont les diamètres sont compris entre 1/2 et 1 fois l'épaisseur du tenon.
- selon les règles de l'art françaises, les tenons ont généralement, et au plus, un tiers de l'épaisseur de la pièce portant la mortaise ;
- à Paris, les dimensions les plus courantes sont 18 lignes3 à 2 pouces (41mm à 50mm) d'épaisseur, et 4 pouces (108mm) de longueur (Fredet 2003 [14]) ;
- pour les charpentes construites actuellement aux Etats-Unis, il est stipulé dans le guide de construction du TFEC que l'épaisseur du tenon ne doit pas dépasser un tiers de l'épaisseur de la pièce portant la mortaise (TFEC 2007 [9]) ;
- les règles ci-dessus doivent être nuancées, car les tenons peuvent prendre des formes variées (tenons doubles, tenons épaulées, etc.).
2.4 Façonnage
On distingue quatre types de chevilles suivant leur mode de façonnage :- les chevilles rectangulaires ou carrées obtenues par fendage ;
- les chevilles tronconiques obtenues par fendage ;
- les chevilles circulaires obtenues par fendage puis par passage à travers un moule ou une filière ;
- les chevilles circulaires obtenues au tour.
2.5 Mise en place
Les enlaçures pour le passage des chevilles étaient réalisées sur les fermes placées à l'horizontale sur l'épure. Les charpentiers utilisaient alors des chevilles en métal pour le premier montage au sol des pièces de bois. A ces chevilles en métal étaient substituées les chevilles finales en bois lors du montage des fermes en hauteur. Après enfoncement des chevilles en bois, les extrémités sortantes pouvaient être soit laissées en place, soit coupées. Lorsqu'elles étaient laissées en place, cela permettait éventuellement de ré-enfoncer les chevilles ultérieurement pour raffermir l'assemblage (Shanks et Walker 2005 [24]). Epaud indique que les extrémités sortantes sont presque toujours laissées en place dans les charpentes normandes médiévales (2007 [12]). A contrario, elles sont coupées sur les pans de bois pour permettre la mise en œuvre des enduits, pour ne pas gêner la circulation, et peut-être également pour éviter de favoriser les infiltrations dans le cas des pans de bois extérieurs.2.6 Conclusion
Il n'y a donc pas de règle générale pour les chevilles : ni pour leur forme, ni pour leur matériau, ni pour leur mode de mise en œuvre. Il existe des assemblages à tenon et mortaise sans chevilles côtoyant des assemblages à tenon et mortaise avec chevilles sur une même charpente, et des charpentes à tenons et mortaises ne comportant aucune cheville (André 2003 [2]). De plus, nos observations ci-dessus concernent principalement les charpentes du Nord de la France, sur lesquels il existe aujourd'hui le plus de sources écrites. Il faudrait donc réunir des informations concernant les chevilles utilisées dans le Sud de la France pour élargir ce panorama, bien que ces dernières semblent moins employées dans ces charpentes méridionales.3 Transmission des efforts
Les chevilles sont sollicitées en double cisaillement lorsque l'élément comportant le tenon est en traction. En raison des déformations lors du séchage des bois assemblés verts, la cheville peut être également sollicitée lorsque l'élément comportant le tenon est en compression ou transmet un effort tranchant (Bulleit et al. 1999 [4]). Nous n'abordons dans la suite que la reprise de la traction par un assemblage à tenon et mortaise avec cheville. Nous reviendrons sur la transmission des efforts dans les autres cas (compression, effort tranchant) dans un prochain article.4 Influence des matériaux
4.1 Essences
Les essences employées pour les tenons, mortaises et chevilles varient suivant les lieux et les époques. Les résultats des études expérimentales mentionnées dans cet article ont ainsi un champ d'application bien défini mais restreint. L'étude de Shanks et Walker (2005 [24]) traite des chevilles, tenons et mortaises en chêne vert5, selon la tradition anglaise. Les études de Schimdt et Scholl (2000 [21]), de Miller et Schmidt (2004 [18]), de Burnett et al. (2003 [5]) sont centrées sur les bois américains (douglas, chêne rouge, chêne blanc, pins, peuplier...) assemblés avec des chevilles en chêne blanc. L'étude de Shanks et al. (2008 [23]) concerne les assemblages utilisant exclusivement des résineux (Japon, Taïwan...). Outre les différences de résistance intrinsèques des bois, qui conduisent évidemment à des différences de résistance des assemblages, la principale influence des matériaux concerne les conditions de pince, sur lesquelles nous reviendront plus bas, et le comportement à long terme.4.2 Orientation des fibres
La quasi-intégralité des études expérimentales dont nous avons connaissance sur la traction dans les assemblages à tenon et mortaise chevillés utilisent des tenons orientés à 90o par rapport aux mortaises. Les autres orientations (30o, 45o, 60o etc.) n'ont pas fait l'objet d'études approfondies (voir cependant l'étude de Walker et al. 2008 [28]). Les tests réalisés par Shanks et Walker (2005 [24]) ont montré que la rigidité d'un assemblage dépendait de l'orientation des cernes de la cheville par rapport à la direction de la traction. En revanche la résistance est peu impactée par cette orientation. Cette information n'est pas exploitable en pratique, car les orientations des chevilles ne sont généralement pas connues, et il n'existe pas de règle particulière dans la pratique favorisant une orientation plus qu'une autre.5 Influence de la forme et du façonnage des chevilles
Les trois types de chevilles utilisés en Angleterre (tronconiques, circulaires passées par un moule, circulaires passées au tour) confèrent aux assemblages des résistances et des rigidités comparables pour les efforts de traction, les chevilles tronconiques étant légèrement moins résistantes et rigides que les chevilles circulaires (Shanks et Walker 2005 [24]). Ce résultat est probablement généralisable aux chevilles des charpentes françaises. Toutes choses étant égales par ailleurs, les chevilles carrées sont moins performantes par rapport aux chevilles circulaires de section équivalente pour permettre la reprise de la traction dans l'assemblage à tenon et mortaise. En effet, la forme carrée du trou de cheville crée des concentrations de contraintes dans la mortaise. De plus, les pics de contraintes d'un trou carré sont situés plus proches du bord de la mortaise par rapport aux pics de contraintes dans un trou circulaire (Shanks et al. 2008 [23]) . La résistance à la traction selon son axe d'une cheville est limitée généralement au frottement des bois. Le retrait des bois au séchage diminue cet effet. L'effet du frottement peut-être amplifié par l'enfoncement de coins dans la tête ou la queue des chevilles (Epaud 2007 [12]). Cependant nous verrons que l'effet de corde qui pourrait avoir lieu sous certaines conditions doit être négligé par sécurité pour l'estimation de la capacité portante de l'assemblage.6 Influence de la forme de l'assemblage
6.1 Conditions de pince
Les conditions de pince régissent les distances minimales entre les chevilles et le bord des éléments. Les deux distances critiques sont :- la distance entre l'extrémité du tenon et le centre de la cheville (appelée "distance d'extrémité" et notée $\aIIIt $ dans la suite - "end distance" en anglais) ;
- la distance entre le bord de la pièce portant la mortaise et le centre de la cheville (appelée "distance de rive" et notée $\aIVt $ dans la suite - "edge distance" en anglais).
- rupture de la cheville, par formation d'une ou de plusieurs rotules6. Modes j et k de la figure 4 ;
- rupture de la cheville, par écrasement du bois (compression perpendiculaire aux fibres)7 ;
- rupture de la mortaise, par écrasement du bois (compression perpendiculaire - ou oblique - aux fibres). Mode g de la figure 4 ;
- rupture du tenon, par écrasement du bois (compression perpendiculaire - ou oblique - aux fibres). Modes h de la figure 4 ;
- rupture du tenon, par cisaillement de la partie située entre la cheville et l'extrémité du tenon (cisaillement simple ou rupture par bloc8 - "tenon plug shear" ou "relish failure") ;
- fissuration de la mortaise, par tension perpendiculaire au fil du bois ("mortice wall failure")9.
NDS (boulons) | EC5 (boulons) | Burnett et al. [5] | Shanks et al. [23] | Miller et Schmidt [18] | |
Conditions de pinces, tenon-mortaise feuillu, cheville feuillu | |||||
a3,t Distance d'extrémité chargée, avec alpha=0° (tenon) | 5d | max(7d ; 80mm) | ∼ 2,5d | - | 2d Red & White Oak ; 2,5d Yellow Poplar |
a4,t Distance de rive chargée, avec alpha=90° (mortaise) | 4d | 4d | - | - | 2d Red & White Oak ; 2,5d Yellow Poplar |
Conditions de pinces, tenon-mortaise résineux, cheville feuillu | |||||
a3,t Distance d'extrémité chargée, avec alpha=0° (tenon) | 7d | max(7d ; 80mm) | ∼ 4,7d Douglas Fir ; ∼ 3,5d Eastern White Pine | - | 2d Douglas fir ; 4d Eastern White Pine ; 2d Southern Yellow Pine |
a4,t Distance de rive chargée, avec alpha=90° (mortaise) | 4d | 4d | - | - | 2,5d Douglas Fir ; 4d Eastern White Pine ; 2d Southern Yellow Pine |
Conditions de pinces, tenon-mortaise résineux, cheville résineux | |||||
a3,t Distance d'extrémité chargée, avec alpha=0° (tenon) | 7d | max(7d ; 80mm) | - | 2,5d pour d=12mm ; 1,5d pour d=18mm | - |
a4,t Distance de rive chargée, avec alpha=90° (mortaise) | 4d | 4d | - | 2,5d | - |
Table 1: Conditions de pince - normes et articles
6.2 Ajustement
Le tenon est plus ou moins libre de bouger à l'intérieur de la mortaise. Nous parlons dans la suite d'ajustement transversal pour désigner l'espace libre restant entre les joues de la mortaise et le tenon (faces portant le trou de la cheville), et d'ajustement longitudinal pour désigner l'espace libre restant entre le tenon et la mortaise au niveau des faces ne portant pas le trou de la cheville. L'ajustement transversal a une influence sur la résistance et le comportement à la rupture de l'assemblage. Plus l'espace libre entre la mortaise et le tenon est réduit, plus la capacité portante de l'assemblage est forte. A titre d'exemple, la diminution de l'épaisseur du tenon de 10% par rapport à l'épaisseur du tenon parfaitement ajusté dans la mortaise conduit à une perte de rigidité de l'ordre de 20%, et à une perte de résistance de l'ordre de 30%. De plus, une fois la cheville rompue, les fibres du bois de la cheville sont entraînées par le tenon dans l'espace libre entre le tenon et la mortaise. Elles y jouent le rôle de cales, résistant au mouvement du tenon par friction. Plus le tenon est ajusté dans la mortaise, plus ce phénomène de friction sera efficace, augmentant l'énergie dissipée par l'assemblage en cas de rupture (Shanks et al. 2008 [25]). L'ajustement longitudinal a lui aussi une influence sur la résistance lorsque la distance à l'extrémité du tenon est trop faible. Dans ce cas il peut y avoir rupture fragile de l'assemblage suite à la rupture en cisaillement du tenon. Mais si le tenon est bien ajusté dans la mortaise, l'effet de la rupture en cisaillement du tenon est réduite, car la cheville reste prisonnière du tenon, grâce à l'ajustement du tenon dans la mortaise. Schmidt et Scholl ont ainsi observé expérimentalement que la résistance et la rigidité d'assemblages dont les tenons présentaient des fissures étaient égales à celles de tenons sans fissures, dans le cas où l'ajustement du tenon dans la mortaise empêchait le tenon de s'ouvrir pour laisser échapper la cheville (2000 [21]). L'ajustement du tenon dans la mortaise a donc des effets bénéfiques pour cet assemblage vis-à-vis de la traction. Cependant, les assemblages traditionnels étant réalisés le plus souvent avec du bois vert, le retrait dû au séchage induit un relâchement du tenon dans la mortaise. L'ajustement du tenon dans la mortaise n'est donc jamais parfait après séchage. Par ailleurs, un espace de 5 à 10mm, appelé jeu de fond de mortaise, est laissé entre l'extrémité du tenon et le fond de la mortaise, afin de s'assurer que les forces de compression ne soient pas transmises par l'extrémité du tenon mais par l'arasement de la pièce portant le tenon. En dehors de cet effet, le jeu de fond de mortaise n'a pas d'influence sensible sur la portance de l'assemblage. On peut noter que dans les tests expérimentaux, les mortaises sont souvent modifiées : des mortaises traversantes sont utilisées pour permettre l'observation de l'extrémité du tenon pendant les tests de charges. La mortaise peut également être simulée pour l'expérience par deux pièces de bois réunies par des cales.6.3 Chevillage à tire
L'utilisation de chevilles à tire crée une précontrainte dans l'assemblage et diminue le glissement initial11 des assemblages, par rapport à celui des assemblages à chevilles simples. L'utilisation du chevillage à tire ne modifie pas la résistance de l'assemblage (Schmidt et Scholl 2000 [21], Shanks et Walker 2005 [24]). Les indications que nous avons trouvées sur les valeurs du décalage entre l'enlaçure dans la mortaise et le tenon afin de créer la précontrainte sont les suivantes :- valeurs expérimentales utilisées dans les études expérimentales : varient entre 2,4mm (3/32") et 3,2mm (1/8") (Schmidt et Scholl 2000 [21], Shanks et Walker 2005 [24], Hirst et al. 2008 [15]) ;
- Valeurs recommandées pour les résineux aux Etats-Unis : environ 3,2mm (1/8") pour cheville de 19mm (3/4") (TFEC 2007 [9]) ;
- Valeurs recommandées pour les feuillus aux Etats-Unis : environ 1,6mm (1/16") pour cheville de 19mm (3/4") (TFEC 2007 [9]) ;
- Valeurs utilisées en général pour les feuillus en Angleterre : environ 3mm.
7 Comportement à long terme
7.1 Effet de l'hygroscopie
Le taux hygroscopique du bois à une influence sur ses résistances (en flexion, compression etc.) et sa raideur. Shanks et Walker (2005 [24]) indiquent, dans le cas du chêne, que la résistance à la flexion augmente de 65%, et la raideur de 12%, lorsque le taux hygroscopique passe de 89% (bois vert) à 12% (bois sec). Outre cet effet favorable sur les caractéristiques de résistance du bois, le séchage a également un effet défavorable : il entraîne des variations dimensionnelles du bois, qui varient suivant l'orientation considérée (radiale, tangentielle, ou axiale). Les effets concrets de ces variations dimensionnelles sont :- le retrait du bois, qui provoque l'apparition de gerces parallèles au fil du bois. Elles diminuent localement la résistance du bois, mais elles n'ont généralement pas d'incidence sur la rigidité et la résistance de la pièce complète (nous reviendrons sur ce point dans un autre article) ;
- la diminution de l'ajustement du tenon dans la mortaise (voir supra sur les conséquences de la perte d'ajustement) ;
- la déformation des pièces de bois. Pour simplifier, sous l'effet d'une variation du taux hygroscopique du bois, la déformation d'une poutre serait réduite12 à une diminution de la section si le fil du bois était parfaitement parallèle à la ligne moyenne de la poutre, s'il n'y avait pas de nœud etc. Les imperfections de la poutre conduisent à une déformation globale de cette dernière lors du séchage, ce qui modifie la ligne moyenne de la poutre. Cet effet est bien plus important que l'effet de fluage. Ainsi, lors de tests expérimentaux pour déterminer l'ampleur du fluage, ce dernier n'a pas pu être mesuré lors du séchage de la poutre car l'effet du séchage l'emportait largement sur l'effet du fluage (Bulleit et al. 1999 [4]).
7.2 Effet des charges à long terme
Réduction de la résistance La résistance d'un bois à une contrainte dépend de la durée de la charge appliquée. Cet effet est pris en compte dans les modes de calcul en appliquant un coefficient réducteur14 $\kmod $ à la résistance du bois. Dans l'Eurocode 5, cette réduction de la résistance s'applique en pratique aussi bien aux éléments de charpente qu'aux assemblages. Cependant, les essais expérimentaux ont montré qu'il n'y avait pas d'effet de la durée de charge sur la résistance des types d'assemblages considérés ici (Schmidt et Scholl 2000 [21]). De plus, les expériences conduitent par Miller et Schmidt tendent à montrer que les résistances sous chargement cyclique sont peu ou pas modifiées par rapport au chargement monotone (2004 [18]). Ductilité Les mêmes essais expérimentaux ont montré que la durée des charges n'a pas d'influence sur la ductilité des assemblages considérés (Schmidt et Scholl 2000 [21]), et que la ductilité de l'assemblage n'était pas mise en défaut sous les chargements cycliques (Miller et Schmidt [18]). Fluage Le fluage correspond à l'augmentation au cours du temps du glissement d'un assemblage sous l'effet d'une charge constante. Les essais conduits par Schmidt et Scholl indiquent que le chevillage à tire diminue légèrement (environ 20%) la vitesse de fluage de l'assemblage (2000 [21]). La valeur du glissement final peut valoir 3 à 8 fois le glissement correspondant à la déformation élastique initiale (TFEC 2007 [9]). Il est connu que plus la différence entre le taux hygroscopique du bois lors du montage et le taux hygroscopique d'équilibre après séchage sera importante, plus les déformations de fluage des éléments eux-mêmes (et non des assemblages) seront importantes. Cependant nous n'avons pas trouvé d'articles indiquant si cet effet était également valable pour les glissements des assemblages à tenon et mortaise chevillés.8 Calcul de résistance - Eurocode 5
8.1 Contexte
Nous rappelons au lecteur que la méthode de vérification des chevilles en bois présentée ci-dessous ne fait pas partie de l'Eurocode 5. Elle ne fait que reprendre le cadre théorique utilisé par l'Eurocode 5 (théorie de l'analyse limite appliquée aux assemblages bois par Johansen en 1949) pour le calcul des broches en métal, en l'adaptant aux chevilles en bois. La validité de cette méthode a été vérifiée expérimentalement pour des cas bien précis. Nous invitons donc les lecteurs intéressés par ce type de calcul pour des cas concrets à se reporter aux articles cités dans la bibliographie, pour vérifier que les conditions d'utilisation des formules sont remplies dans les cas qui les intéressent.8.2 Calcul de résistance
Pour un assemblage avec une broche métallique sollicitée en double cisaillement, la capacité portante en traction $\FvRk $ par plan de cisaillement de l'assemblage est définie comme le minimum des capacités portantes correspondantes aux quatre modes de ruines ($g$, $h$, $j$ et $k$) données ci-dessous (notations identiques à celles de l'Eurocode 5) : \begin{eqnarray*} & \fhak \ta \d &\text{(g)}\\ & 0,5 \fhbk \tb \d &\text{(h)}\\ & 1,05 \frac{\fhak \ta \d}{2 + \beta} \left( \left(2 \beta (1+\beta) + \frac{4 \beta (2 + \beta) \MyRk}{\fhak \d \ta^{2}}\right)^{0,5} - \beta \right) + \frac{\FaxRk}{4} \quad&\text{(j)}\\ & 1,15 \left(\frac{2 \beta}{1+\beta}2\MyRk \fhak \d\right)^{0,5} + \frac{\FaxRk}{4} &\text{(k)} \end{eqnarray*} Les expériences conduites par Shanks et Walker (2005 [24]) sur les assemblages en chêne vert avec chevilles en bois ont montré que la méthode de calcul des assemblages à broches métalliques de l'Eurocode 5 pouvaient être utilisée pour dimensionner raisonnablement les efforts de traction admissibles pour ce type d'assemblage. Les modifications à apporter pour permettre le calcul sont :- remplacer le moment $\MyRk $ des broches métalliques par le moment admissible de la cheville en bois ;
- négliger l'effet de corde $\FaxRk/4$ ;
- vérifier la résistance du tenon contre la rupture par bloc.
8.3 Calcul de rigidité
Pour un assemblage avec une broche métallique sollicitée en double cisaillement, la rigidité $\Kser $ de l'assemblage est défini par : \begin{align} \Kser = \rhok^{1,5} \d / 23 \end{align} Naturellement, un assemblage avec une cheville en bois est plus souple qu'un assemblage avec une cheville métallique de même diamètre (Schmidt et Scholl [21]). Il est proposé dans la littérature d'adapter cette formule aux chevilles en bois en divisant par deux cette valeur (Cointe 2007[6]). Cela conduit à : \begin{align} \Kserbois = \frac{1}{2}\rhok^{1,5} \d / 23 \end{align}9 Conclusion
Les résultats présentés ici doivent être pris avec précaution. En effet, en raison des multiples facteurs d'influence, chacune des études auxquelles nous avons fait référence a un domaine d'application relativement restreint. Si ces résultats permettent d'illustrer les grandes tendances des comportements de ces assemblages et ainsi faciliter la compréhension de leur fonctionnement, il n'y a pas de règle générale qui ne puisse connaître d'exception. De plus, ces travaux expérimentaux sont généralement réalisés dans le but de définir ou de préciser les modes de calcul de nouveaux assemblages qui pourront être utilisés dans les constructions futures. Dans ce cadre il est envisageable d'avoir le contrôle sur l'exécution de l'assemblage, sur les caractéristiques mécaniques des matériaux utilisés etc. Ce n'est pas le cas pour la vérification d'assemblages existants, pour lesquels les renseignements nécessaires pour vérifier le dimensionnement n'existent généralement pas et sont difficilement mesurables sur place. L'état même de la cheville qui reste masquée ne peut pas être connu. Elle peut avoir été endommagée par des charges trop importantes, ou le bois peut s'être dégradé et avoir perdu une partie de ses caractéristiques mécaniques. Il faut donc opérer avec précaution pour estimer la résistance de ces assemblages. Cette première étude des chevilles reste lacunaire. Notre but était de croiser les données fournies par l'archéologie du bâti, par les règles de l'art et les traités de la construction, et provenant des études expérimentales. Nos premières recherches dans les encyclopédies et traités de construction du XVIIIe et XIXe (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, Art de Bâtir de Rondelet, traités de Barré, de Denfer) n'ont apporté que des informations très limitées sur les chevilles en bois. Nous n'avons pu consulter que peu de sources sur l'archéologie du bâti concernant les charpentes, il est donc possible que de nouvelles informations aient déjà été publiées mais n'aient pas été référencées ici. Il reste donc certainement encore beaucoup à découvrir ou redécouvrir sur les chevilles. Article mis en ligne le : 18/05/2012.Révisé le : 25/11/2012.
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