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2 juillet 2012

Les angles de volée des cloches

1  Introduction

Lors de la mise en place d'une cloche sonnée à la volée, un mode de volée (lancé-franc, mode rétro-grade, mode rétro-lancé etc.) est choisi. L'installateur ajuste l'angle de volée maximum $\phimax $ avec la géométrie du battant, avec celle du joug et avec la position de l'axe de rotation de la cloche, afin d'obtenir un équilibre des différents composants du système qui permette de tirer le meilleur parti des qualités sonores de la cloche.
Une fois ce réglage effectué, il est possible de calculer les éléments suivants à partir des paramètres qui décrivent la cloche et son installation : le mouvement angulaire de la cloche $\phi(t)$, et la poussée horizontale $H(t)$ et verticale $V(t)$ s'appliquant sur l'axe de rotation (voir notre article précédent sur ce sujet).
Le choix de l'angle de volée maximum $\phimax $ a des conséquences importantes sur les amplitudes des poussées, et également sur leurs fréquences. Ces conséquences sont illustrées par des animations dans cet article. En particulier, nous allons voir que la fréquence avec laquelle la cloche exerce ses efforts ne correspond pas nécessaire à la fréquence visible du mouvement.

2  L'angle de volée maximum

L'angle de volée maximum $\phimax $ est défini comme le déplacement angulaire maximum de l'axe de symétrie axiale de la cloche par rapport à son état d'équilibre au repos1. Il varie suivant les pays et les régions. Ivorra et al. (2006) [1] donnent les indications suivantes sur les angles de volée maximum suivant les pays :
  • 54-80o en Allemagne ;
  • 80-110o en France, Italie et d'autres pays européens ;
  • 50-160o aux Etats-Unis ;
  • 180o en Angleterre ("change ringing") ;
  • volée tournante (les cloches font des tours complets, leur vitesse angulaire est non nulle à $\phi=180$o) en Espagne.
Les valeurs données ci-dessus doivent être prises avec précaution, puisqu'elles dépendent également du mode de volée de la cloche. On trouve par ailleurs des cloches installées en volée tournante dans le Sud de la France. Dans la suite de cet article, les cloches que nous avons considérées sont des cloches installées en lancé-franc en France, avec un joug en bois traditionnel. Nous ne nous intéresserons pas à la pertinence des angles de volée maximum du point de vue de la sonorité2, mais seulement à leur influence sur les poussées.
L'angle de volée serait donc compris généralement entre 80 et 110o. Certaines cloches peuvent être sonnées à des angles inférieurs. C'est le cas par exemple de certains très gros bourdons, afin de soulager les beffrois anciens qui les supportent. La moyenne des angles de volée maximum des cloches installées en France aurait diminué ces dernières décennies, et serait passé de 90-100o environ à 80o environ3.

3  Variation des amplitudes des poussées

Comparons deux cloches identiques en tout point4, qui ne se distinguent que par leur angle de volée maximum $\phimax $ ; la première cloche est sonnée à 80oet la seconde à 40o. Le résultat est illustré sur les deux figures ci-dessous (Fig 1). Sur ces figures la flèche bleue indique la poussée horizontale $H$ qu'exerce la cloche sur son axe de rotation, et la flèche rouge indique la poussée verticale $V$ qu'exerce la cloche sur ce même axe. Les forces sur les deux animations sont représentées à la même échelle pour permettre de les comparer visuellement.
Nous observons les différences suivantes, qui sont généralisables aux autres angles de volée maximum $\phimax $ non représentés.
  • Plus l'angle de volée maximum $\phimax $ est grand, plus les amplitudes des poussées $\Hmax $ et $\Vmax $ sont grandes. C'est pourquoi l'angle de volée est un critère très important dès que l'on s'intéresse à la stabilité des beffrois qui portent les cloches.
  • Plus l'angle de volée maximum $\phimax $ est grand, plus la variation de la poussée verticale est grande ($\frac{\Vmax-\Vmin }{M}$), avec $M$ la somme des poids de la cloche et du joug. On remarque ainsi que pour un angle de 40o la poussée verticale varie peu, alors que pour un angle de 80o la poussée verticale s'annule presque lorsque la cloche est en position haute.
  • Les périodes des deux cloches sont différentes. La période $T$ d'une cloche est d'autant plus grande que l'angle de volée maximum $\phimax $ est grand. Par exemple, la période de la cloche considérée ici augmente de 10% lorsque l'angle de volée maximum $\phimax $ passe de 40o à 80o, et de 14% lorsqu'il passe de 80o à 110o.
Fig 1: Comparaison du mouvement et des poussées, pour deux angles de volée maximum différents
Il faut également noter que les amplitudes maximales des poussées ne se produisent pas pour $\phi = \phimax $. En effet :
  • jusqu'à 40o, la poussée horizontale atteint son maximum pour un angle $\phi $ proche de $\phimax $ ;
  • autour de 80o, la poussée horizontale atteint son maximum pour un angle $\phi $ proche de $\phimax/2$ ;
  • après 115o, la poussée horizontale atteint son maximum pour un angle $\phi $ inférieur à $\phimax/2$. La poussée horizontale change de signe lorsque $\phi $ s'approche de $\phimax $ ;
  • la poussée verticale maximale se produit toujours pour $\phi=0$o, c'est-à-dire lorsque la cloche repasse par l'axe vertical. Au même moment, la poussée horizontale s'annule.
Fig 2: Représentation des évolutions sur une période de $\phi $, $H$ et $V$, pour deux angles de volée maximum différents

4  Les harmoniques de la poussée horizontale $H$

Nous avons vu que $\phimax $ avait une influence importante sur les amplitudes des poussées $H$ et $V$. Les harmoniques de la poussée $H$ sont eux aussi influencés par $\phimax $. La prise en compte de cet effet est particulièrement important pour la compréhension de l'interaction dynamique des cloches avec les structures qui les portent.
A première vue, le mouvement des cloches semble toujours être régulier. Pour les trois angles de volée maximum considérés, le mouvement est quasiment sinusoïdal. Si on décompose en série de Fourier le déplacement angulaire $\phi $ qui représente le mouvement, seule la première harmonique apparaît5. Ainsi, visuellement, les trois cloches considérées ci dessous (Fig. 3) semblent avoir le même type de mouvement, simplement avec des amplitudes et des périodes différentes. Cependant, si on s'intéresse à la poussée horizontale, on découvre que cette apparence est trompeuse. Montrons comment. La première flèche correspond à la poussée horizontale (totale) $H$. Cette poussée peut être elle-aussi décomposée en série de Fourier : $H = H_{1}+H_{3}+H_{5}+$termes négligeables, avec $H_{i}$ la $i$-ème harmonique. On a donc :
  • $H_{1}$ la première harmonique, qui a la même fréquence que la fréquence apparente de la cloche, soit $f_{1}=1/T$ avec $T$ la période du mouvement de la cloche ;
  • $H_{3}$ la troisième harmonique, dont la fréquence est le triple de la fréquence de la première harmonique, soit $f_{3}=3f_{1}$;
  • $H_{5}$ la cinquième harmonique, dont la fréquence est le quintuple de la fréquence de la première harmonique, soit $f_{5}=5f_{1}$.
Les animations ci-dessous illustrent les tendances suivantes :
  • jusqu'à 40o, $H_{5}$ est négligeable et $H_{3}$ représente moins du tiers de $H_{1}$ en amplitude ;
  • autour de 80o, $H_{3}$ devient aussi importante que $H_{1}$ ;
  • après 115o, $H_{3}$ représente plus du double de $H_{1}$ et $H_{5}$ devient également rapidement plus forte que $H_{1}$ au delà de 115o.
La troisième harmonique de la poussée prend donc l'ascendant sur la première harmonique de la poussée si $\phimax $ est suffisamment élevé. Contrairement à ce que le mouvement de la cloche laisse apparaître, la cloche agit horizontalement sur son support avec une fréquence trois fois plus importante que la fréquence apparente du mouvement.
Fig 3: Comparaison des harmoniques de la poussée horizontale, pour trois angles de volée maximum différents

5  Interaction avec les clochers

Deux aspects sont donc à considérer concernant les poussées horizontales des cloches : l'amplitude $\Hmax $ de la poussée et les fréquences des harmoniques de cette poussée. Pour les petits angles de volée maximum, les harmoniques de la poussée sont très faibles, en dehors de la première harmonique qui correspond à la fréquence du mouvement de la cloche considérée. Cependant, si l'angle de volée devient important, alors la troisième harmonique devient prépondérante : cette fréquence peut éventuellement poser des problèmes de résonance avec la tour maçonnée qui supporte la cloche.
Donnons quelques ordres de grandeurs pour fixer les idées. Les premières fréquences propres en torsion et en flexion des tours élancées en maçonnerie sont comprises généralement entre 0,9 et 2,0Hz (voir Ivorra et al. 2006 [1]). Les fréquences propres des poussées horizontales des cloches en lancé-franc sont comprises entre 0,30 et 0,70Hz. Il n'est donc pas possible à priori6 d'être dans une situation où une cloche excite le mode propre d'une tour avec la première harmonique de sa poussée horizontale. Cependant, les troisièmes harmoniques des cloches étant comprises entre 0,90 et 2,1Hz, il est possible pour une cloche d'exciter un mode propre d'une tour avec la troisième harmonique de sa poussée horizontale, et se faisant créer à terme des désordres sur les structures. Ces problématiques ont fait l'objet de publications sur des études de cas, principalement en Espagne et en Italie. En France, on notera l'étude menée sur la tour de la Mutte de la cathédrale de Metz (voir Patron-Solares et al. [2]).
Il existe des règles de l'art concernant la mise en place des beffrois dans les tours pour minimiser l'impact des cloches vis-à-vis des fréquences de résonances des tours, sur lesquelles nous reviendrons peut-être dans un prochain article.

6  Conclusion

Nous avons illustré avec des animations l'importance de l'influence de l'angle de volée maximum $\phimax $ sur les poussées des cloches. Nous ajouterons ultérieurement des exemples pratiques pour des cloches existantes.
 
Article mis en ligne le : 02/07/2012.
Révisé le : 02/09/2012.

Bibliographie

[1]
S.  IVORRA, M. J. PALOMO, G.  VERDú et A.  ZASSO : Dynamic forces produced by swinging bells. Meccanica, 41: 47-62, fév. 2006.
[2]
A.  PATRON-SOLARES, C.  CREMONA, C.  BOTTINEAU, R.  LECONTE et F.  GOEPFER : Study of bell swinging induced vibrations of bell tower of Metz cathedral (France). In Actes des journées scientifiques du LCPC, p. 529-536, 2005.

Notes:

1 Il est appelé "Swing angle" par Ivorra et al. [1], "Läutewinkel" et noté $\alpha $ dans la norme allemande DIN4178:2005.
2 Par exemple une cloche avec $\phi _{max}=40$o sonnerait probablement mal, mais cet angle permet de bien visualiser les différences entre les angles de volée maximum faible avec les angles de volée maximum plus forts.
3 Nous ne disposons pas de sources écrites sur la question, ces chiffres doivent être précisés ou corrigés, nous les donnons uniquement pour indiquer des ordres de grandeur de ces modifications apparues au cours des dernières décennies.
4 Nous simplifions le problème ici, car naturellement l'angle de volée est pris en compte lors du montage de la cloche, et par conséquent il y aurait en réalité également des différences au niveau des jougs ou des battants. Cependant pour notre démonstration, nous considérerons deux modèles de cloches qui sont effectivement identiques en tout point excepté pour leur angle de volée maximum.
5 L'harmonique suivante la plus importante a une amplitude valant à peine 3% de l'amplitude de la première harmonique de $\phi $.
6 Il faut noter cependant que dans certains particuliers, les fréquences des tours peuvent sortir de la fourchette proposée ci-dessus. Par exemple dans le cas de la tour de la Mutte de la cathédrale de Metz, la fréquence du premier mode propre est 0,61Hz (voir Patron-Solares et al. [2]).