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27 décembre 2012

Poussées actives et passives des voûtes

1  Introduction

La poussée d'une voûte ou d'un arc en maçonnerie est indéterminée, si on étudie la structure à l'aide du calcul à la rupture. Seul l'intervalle dans lequel cette poussée doit nécessairement se trouver pour que l'arc soit stable peut être connu. La valeur maximale (respectivement minimale) que peut prendre la poussée est appelée poussée active (resp. passive), et elle correspond à la ligne de pression active (resp. passive).
Nous supposerons dans la suite que les bases du calcul à la rupture sont connus par le lecteur (voir notre article précédent à ce sujet). Nous rappelons simplement ici que :
  • Chaque état d'équilibre d'un arc est représenté par une ligne de pression.
  • Un état d'équilibre n'est pas nécessairement stable.
  • Un état d'équilibre stable est caractérisé par une ligne de pression partout intérieure à la maçonnerie.

2  Définition des poussées actives et passives

Si il existe une ligne de pression intérieure à l'arc, alors il existe une valeur maximale $\Hmax $ de la poussée horizontale à la clé pour laquelle l'arc est stable. Il existe également une valeur minimale $\Hmin $ de la poussée horizontale à la clé pour laquelle l'arc est stable. L'existence de ces poussées a été démontrée sous des formes différentes par Smars, qui utilise la propriété de convexité du domaine de résistance (2000 [3]), et Delbecq, qui utilise les propriétés géométriques des lignes de pressions (1983 [2]). Historiquement, les concepts de poussées extrémales ont été exposé par Coulomb en 1776 [1].
$\Hmin $ est appelée poussée passive, et $\Hmax $ poussée active. Lorsque $\Hmin=\Hmax $, il n'existe alors qu'une seule ligne des pressions intérieure à l'arc.
Comme nous l'avons indiqué en introduction, il n'est pas possible généralement de connaître la poussée d'une voûte. Cependant on sait que cette poussée est comprise nécessairement entre $\Hmin $ et $\Hmax $.
Les figures suivantes illustrent les poussées actives et passives sur trois exemples : un arc en plein cintre, un arc d'ogive en tiers point, un arc boutant avec surcharge. Les positions où les lignes des pressions touchent l'intrados ou l'extrados sont marquées par un point rouge.
Fig 1: Arc plein cintre - poussée passive (g.) et active (d.)
Fig 2: Arc ogive - poussée passive (g.) et active (d.)
Fig 3: Arc-boutant - poussée passive et active

3  Interprétation physique

Pour faciliter la compréhension, il est commode1 d'imaginer un arc comme un être possédant une volonté : ne pas s'effondrer. De plus, cet arc pousse en permanence : il ne peut pas pousser plus de $\Hmax $, mais pousse en tout cas toujours plus de $\Hmin $. Envisageons deux cas.
Glissement des appuis vers l'extérieur   Soit un arc initialement stable. Sa poussée initiale $\Ho $ n'est pas connue, mais elle est en tout cas plus grande que $\Hmin $. Si, à la suite d'un événement extérieur les appuis de l'arc s'affaiblissent et ne sont plus en mesure de reprendre la poussée $\Ho $, l'arc réduit sa poussée pour ne pas tomber. Il sera en mesure de réduire sa poussée tant que ses appuis seront toujours en mesure de reprendre au moins $\Hmin $. Cependant arrivé à cette limite, il ne pourra plus poursuivre cette diminution et un mécanisme de ruine s'amorcera.
Cette situation est la plus courante : la dégradation d'un arc boutant, l'apparition du dévers d'une pile, la disparition d'un contrefort etc. sont autant d'exemples courants d'affaiblissement des appuis d'un arc ou d'une voûte.
Glissement des appuis vers l'intérieur   Soit un arc initialement stable. Sa poussée initiale $\Ho $ n'est pas connue, mais elle est en tout cas plus petite que $\Hmax $. Si, à la suite d'un événement extérieur, les appuis tendent à rentrer vers l'intérieur, l'arc augmente sa poussée pour essayer de retenir la progression des appuis. Cependant lorsqu'il aura augmenté sa poussée jusqu'à atteindre $\Hmax $, il ne pourra plus poursuivre cette augmentation et un mécanisme de ruine s'amorcera.
Cette situation est moins courante dans les bâtiments. Elle peut néanmoins se produire. Généralement on a dans ce cas un grand arc qui impose une poussée trop importante à un arc plus petit. C'est le cas pour les arcs-boutants. Les poussées des terres dans le cas des ponts peuvent également provoquer ce type de mécanisme de ruine.

4  Choix de modélisation

Il faut bien avoir à l'esprit que les résultats des modèles, dont les poussées actives et passives font parties, dépendent d'un certain nombre de choix qui restent parfois arbitraires.
Ainsi l'orientation des joints choisis pour le modèle est souvent une simplification par rapport aux joints réels de la structure. Plusieurs modèles différents peuvent être envisagés pour l'étude d'une même structure. Par exemple dans le cas de l'arc boutant représenté sur la figure , il est possible de considérer 2 situations :
  • l'ensemble de la maçonnerie joue un rôle porteur et de la découper alors régulièrement (cas arc-boutant A Fig. 5 à g.)
  • seul l'arc clavé est porteur, et la surcharge ne fait que transmettre son poids propre à l'élément inférieur (cas arc-boutant B Fig. 5 à d.).
Les lignes de pression dépendent du choix de l'orientation des joints, et par conséquent les poussées actives et passives en dépendent également.
Fig 4: Arc-boutant - basilique Saint-Denis
Extrait de l'article "arc-boutant" du dictionnaire raisonné de l'architecture de Viollet-le-Duc[4]
Source Wikicommons
Fig 5: Arc-boutant A (à gauche) et B (à droite)
Fig 6: Arc-boutant A - poussée passive et active
Fig 7: Arc-boutant B - poussée passive et active

5  Conclusion

Les poussées actives et passives définissent le domaine de stabilité de l'arc ou de la voûte étudiée. Les concepts de poussées actives et passives peuvent-être généralisés de manière à prendre en compte les coefficients de sécurité globaux de l'arc étudié. Nous reviendrons sur ce point dans un prochain article.
Article mis en ligne le : 27/12/2012.
révisé le : 13/01/2013.

Bibliographie

[1]
C.-A. COULOMB : Essai sur une application des règles de maximis & minimis à quelques problèmes de statique, relatifs à l'architecture. De l'Imprimerie Royale, Paris, 1776.
[2]
J.  DELBECQ : Analyse de la stabilité des ponts en maçonnerie par la théorie du calcul à la rupture. Thèse de doctorat, Ecole nationale des ponts et chaussées, Paris, 1983.
[3]
P.  SMARS : Etudes sur la stabilité des arcs et voûtes - confrontation des méthodes de l'analyse limite aux voûtes gothiques en Brabant. Thèse de doctorat, Université Catholique de Louvain, Leuven, 2000.
[4]
E.  VIOLLET-LE-DUC : Arc-boutant. Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle, 1856.

Notes:

1 Cette démarche logique est indiquée ici seulement pour aider à la compréhension les lecteurs qui ne seraient pas familiers avec les concepts de poussées actives et passives. Cette présentation est évidemment critiquable du point de vue formel.