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7 octobre 2012

Les coulis d'injection pour le confortement des murs

1  Introduction

Les murs les plus répandus pour la construction les monuments anciens sont des murs à double parements avec fourrure (three-leaf wall). La résistance et la rigidité de ces murs peut être notablement affaiblie par le vidage des maçonneries, c'est-à-dire par la disparition progressive du mortier de pose des parements et du mortier de hourdage de la fourrure. Il existe un moyen simple, et largement utilisé aujourd'hui, pour renforcer ces murs : les coulis d'injection.
Le renforcement des maçonneries par coulinage est connu en France depuis le début du XXe siècle. Il consiste à injecter gravitairement ou sous basse pression un coulis afin de remplir les vides à l'intérieur des maçonneries. Accompagné d'autres interventions de régénération des maçonneries, il permet d'augmenter la résistance des maçonneries pour résister aux charges qui leur sont appliquées : poids propre, poussées des voûtes, forces sismiques etc.
Les coulis peuvent être à base de ciment, de chaux hydraulique, de résines1 etc.. Nous verrons qu'ils doivent remplir des conditions de compatibilité pour pouvoir être injectables et efficaces pour l'obtention d'un renforcement effectif de la maçonnerie. Nous donnerons également quelques pistes pour aider à quantifier les effets du coulinage sur la résistance aux efforts statiques et dynamiques des murs à double parements avec fourrure. L'effet du coulinage est en effet plus complexe que le simple remplissage des vides.
Fig 1: Mur à double parements avec fourrure ou blocage
Extrait du dictionnaire raisonné de l'architecture de Viollet-le-Duc
Source Wikicommons

2  Historique des injections de renforcement

Les coulis de ciment sont utilisés pour la construction (et non le renforcement) pour les murs de quai, les bajoyers d'écluses2 depuis la fin du XIXe siècle. Ils sont injectés sous pression lors de la construction pour éviter la formation de fissures verticales au niveau des joints des différentes phases de construction. Caméré expose dans les Annales des Ponts et Chaussées cette méthode utilisée pour la grande écluse de Port-Villez, terminée en 1892 (1900 [5]). Il note dans son article que la méthode d'injection de coulis de ciment pourrait être adaptée pour le renforcement des "massifs de maçonnerie en mauvais état".
Le domaine d'utilisation des coulis s'étend progressivement au début du XXe siècle (voir par exemple leur utilisation pour les voûtes du métro - Suquet 1909 [19]), mais leur utilisation pour le renforcement des maçonneries existantes est peut-être restée dans un premier temps relativement confidentielle, puisque Froidevaux indique que cette technique de confortement est trouvée par des Services des Monuments Historiques vers 1920, et utilisée en particulier pour conforter une des piles de la tour de la cathédrale de Strasbourg (2001 [11]). Deloye mentionne cependant que le premier brevet pour le renfort des maçonneries par injection aurait été déposé quelques années plus tôt, en 1908 (1991 [9]).
Les techniques d'injections évoluent dans les années 1970, avec l'abandon progressif des injections sous pression et du lavage préalable à l'eau. Les coulis à base de plâtre sont développés à la fin des années 1980 pour les maçonneries hourdés au plâtre (Garnier 1999 [12]). . Bouineau indique quelques repères historiques concernant l'évolution de la formulation des coulis entre 1975 et 1996 (voir Bouineau 1999 [3]).
Fig 2: Essais d'injection - Caméré 1900 [5]
scanné par la BNF

3  Formulation et compatibilité chimique

Il existe plusieurs types de coulis, qui peuvent être cataloguées suivant les liants utilisés. Ces liants sont :
  • le ciment
  • la chaux hydraulique
  • la chaux aérienne
  • le plâtre
Le coulinage peut-être vu comme une sorte de transfusion sanguine pour le bâtiment. Si le coulis est bien choisi, il permet de remettre sur pied le malade. Sinon, il peut provoquer des réactions internes extrêmement néfastes pour sa santé. En effet, les liants hydrauliques, et en particulier le ciment, sont susceptibles de donner lieu à des réactions expansives en présence de plâtre ou d'alcali dans les maçonneries. Ces produits de réaction provoquent des contraintes internes qui se traduisent par l'apparition de fissures, le déchaussement de pierres de parement etc. Dans le pire des cas, la stabilité de l'édifice est alors compromise et il faut le démonter pour éviter l'effondrement. Un tel cas est décrit par De Lépinay et Caillault à propos de la tour de l'église Saint-Nicolas à Neauphle-le-Château (1999 [8]). Cette tour, hourdée au plâtre, avait été injectée avec un coulis ciment, provoquant la formation de Thaumasite, un composé fortement expansif.
Par ailleurs, les coulis à base de chaux peuvent également être incompatibles avec certaines maçonneries (voir l'exemple donné par Koch Paquier 1999 [14] en présence de sulfure).
Pour éviter tout risque d'incompatibilité chimique entre le coulis et les maçonneries en place, il faut donc faire réaliser des analyses par un laboratoire afin de formuler un coulis adapté. Ces analyses permettent également de s'assurer que le coulis sera compatible mécaniquement (voir infra).
Les premiers coulis utilisés en France à partir des années années 1920-1925 étaient principalement à base de ciment. Ce liant est resté un élément incontournable des coulis si on fait référence à la littérature disponible jusqu'à la fin du XXe siècle (voir Zvorikine 1968 [24]3 et Toumbakari et Van Gemert 1997 [20]4 entre autres). Cependant une nouvelle orientation de la recherche apparaît dans les articles publiés après les années 2000. On recherche alors des coulis qui soient plus compatibles avec les mortiers d'origine, afin d'améliorer l'efficacité et la durabilité des coulinages (Valluzzi et al. 2004 [21]). Ces coulis sont des coulis à faible teneur en ciment, et quelques fois même sans ciment. La synthèse sur les études existantes conduite par Vintzileou (2007 [23]) indique la supériorité des coulis à base de chaux hydraulique (hydraulic lime based grouts), et des coulis contenant moins de 50% de ciment (ternary grout), par rapport aux coulis à base de ciment (voir également Kalagri 2010 [13]). La synthèse des études existantes publiée par Mazzon en 2010 ([15, p.33]) illustre elle-aussi cette évolution, et mentionne quelques études sur des coulis à base de chaux hydraulique sans ajout de ciment. Nous verrons plus bas que s'il est vrai que la résistance d'un coulis augmente avec sa teneur en ciment, en revanche ce n'est pas le cas de son efficacité pour le renforcement des maçonneries anciennes.
Par ailleurs, la consolidation des maçonneries avec mortier terre et chaux, mortier qui présente de très faibles résistances mécaniques, a fait l'objet de tests sous la forme d'un premier coulinage avec un coulis à base ciment, suivi d'un second coulinage de silicate (Bouineau 1986 [2]). Nous n'avons pas pu recueillir d'autres informations sur ce type particulier de coulinage.

4  Compatibilité mécanique

Le coulis doit remplir un certain nombre de conditions pour pouvoir être mis en place. Il doit être suffisamment fluide pour permettre l'injection et avoir une durée de prise adaptée. Il doit de plus présenter un faible retrait et une bonne durabilité.
Après la prise du coulis, ce dernier doit fournir un comportement le plus proche possible du mortier initial. Il est donc préférable d'avoir un module d'élasticité du coulis proche de celui du mortier d'origine. Les coulis à base de ciment présentent généralement des modules d'élasticité bien supérieurs aux mortiers médiévaux.

5  Mise en œuvre

La mise en œuvre des coulis est détaillée dans un rapport technique paru en 2009 par Modena et al. [18]. Nous reprenons ici les indications de ce rapport, complétées d'informations complémentaires trouvées dans la littérature.

5.1  Etapes successives du coulinage

Les étapes pour le coulinage sont les suivantes :
  1. Lavage des parements du mur si possible (mais généralement cher, et inapplicable pour les maçonneries fortement dégradées).
  2. Création des trous pour le coulinage.
  3. Mouillage (ou lavage) avant injection, à travers les trous créés pour le coulinage. Ce mouillage nécessite des précautions, en raison des risques d'affaissement.. De Brandois et Babics indiquent que le lavage préalable à l'eau des maçonneries est réservée aux cas particuliers en France depuis les années 1980 (2006 [7]). Garnier indique la suppression du lavage de la fourrure à partir de 1975 (1999[12]).
  4. Coulinage, du bas vers le haut, par bandes horizontales de 1 mètre de haut environ.

5.2  Trous et maillage

Les trous pour l'injection font généralement entre 10 et 30mm de diamètre. Ils font entre 2/3 et 3/4 de l'épaisseur de la maçonnerie, sans toutefois s'approcher à moins de 10cm du parement opposé. Les valeurs recommandées dans la littérature sont comprises entre 2 et 20 trous d'injection par mètre carré, et dépendent de la typologie de la maçonnerie à traiter. En règle générale, il est plus favorable d'avoir un plus grand nombre de trous de petit diamètre, plutôt qu'un plus petit nombre de trous de grand diamètre. Modena et al. recommandent l'utilisation d'un maillage triangulaire équilatéral pour optimiser la diffusion du coulis dans la maçonnerie. Lorsque le mur est très épais, il est préférable de couliner le mur depuis les deux côtés pour assurer un bon remplissage.
Une autre technique est mentionnée par Zvorikine (1968 [24]). Il proposait la mise en place d'un nombre réduit de rosettes en plâtre, contre lesquelles étaient appliqués les injecteurs.

5.3  Injections gravitaire ou basse-pression

Les valeurs des pressions de coulinage indiquées dans la littérature actuelle sont comprises entre 0,1bar et 0,5bar. Il est recommandé de ne pas dépasser 1,5bar par Modena et al. (2009 [18]), ce qui correspond à un coulinage à basse-pression. On trouve également dans des publications plus anciennes des valeurs plus élevées (jusqu'à 4 bar dans Zvorikine 1968 [24]). Ces pressions peuvent conduire à des désordres pour les maçonneries endommagées, et elles ne semblent plus utilisées aujourd'hui. Les pressions d'injections utilisés lors des tests expérimentaux ne semblent pas indiquer de différence dans les résultats (Mazzon 2010 [15, p.34]).
Dans le cas des confortations de maçonneries anciennes fortement endommagées, il est préférable de recourir à un coulinage gravitaire : le coulis est introduit dans des trous forés à 45o avec l'horizontale, et il pénètre dans les maçonneries seulement sous l'effet de la gravité, sans nécessiter l'utilisation d'une pompe.
Il est difficile de cibler avec précision les zones injectées, en raison de la fluidité des coulis. Froidevaux indique que les coulis peuvent parcourir 15 à 18 mètres à travers les maçonneries (Froidevaux 2001 [11]).

6  Effets du coulinage sur les murs à double parements avec fourrure

6.1  Contexte

Les effets du coulinage ont été établis par des essais expérimentaux, décrits dans la littérature, et pour lesquels on trouve des synthèses dans Mazzon 2010 [15] et Vintzileou 2007 [23]. Ces essais ont été conduits sur des panneaux en maçonneries, correspondant à trois types de modèles :
  • Modèle non renforcé (non couliné) ; UnReinforced Model (URM)
  • Modèle réparé ; Repaired Model (RM) - injection de réparation
  • Modèle renforcé ; Strengthened Model (SM) - injection préventive
Les modèles RM et SM sont tous deux coulinés, la différence étant que le modèle RM est endommagé (par exemple chargé jusqu'à la limite élastique) préalablement au coulinage, alors que le modèle SM est couliné alors qu'il est en bon état. Les expériences ont montré que les effets du coulinage sont différents suivant que le coulinage est appliqué à une structure saine, ou à une structure qui avait été endommagée avant le coulinage. De façon générale, il y a une différence de résistance entre les modèles RM et SM vis-à-vis des efforts dynamiques (séismes), mais pas ou peu vis-à-vis des efforts statiques.
La comparaison des expériences entre-elles est rendue difficile par la multiplicité des paramètres ayant une influence sur les résultats : nature du coulis, nature de la maçonnerie, dimensions de l'échantillon, expérience en laboratoire ou in-situ... Les tendances données ci-dessous ont été tirées des deux synthèses mentionnées ci-dessus.
D'autre part les résultats donnés ci-dessous concernent spécifiquement le comportement des murs à double parement avec fourrure (three-leaf wall) pris globalement. Il existe également des expériences donnant les effets du coulinage sur la fourrure prise isolément (voir par exemple Miltiadou-Fezans et al. 1993 [16]) dont nous ne parlerons pas dans la suite.

6.2  Augmentation de la masse du mur

L'effet le plus immédiat du coulinage est l'augmentation de la masse du mur, suite au remplissage des vides. Cette augmentation varie suivant l'importance des vides avant coulinage, l'efficacité du coulinage, et dans une moindre mesure suivant la masse volumique du coulis ayant fait prise. A titre d'exemple, la masse (ou volume) injectée par rapport au volume total du mur est :
  • égale à 10% (en masse) dans les expériences menées par Mazzon (2010 [15]), et comprise entre 10 et 12% (en volume) dans les études citées par Mazzon  ;
  • comprise entre 10 et 15% (en volume) dans les expériences menées par Valluzzi et al. (2004 [21]) ;
  • supérieure à 16% (en volume) dans le cas du confortement du Pont-Royal à Paris (Bustamante et al. 1990 [4]).
  • jusqu'à 5% (en volume), selon Feilden 2003 [10]
On peut ajouter à cette liste un autre exemple, où cette fois-ci seul le remplissage de la fourrure est considéré (au lieu de la fourrure et des parements précédemment ce qui conduit à un pourcentage plus élevé pour ce dernier exemple). Le volume injecté par rapport au volume total de la fourrure est de l'ordre de 40% dans les expériences menées par Kalagri et al. (2010 [13]).
De plus, Claudel et Laroque proposent un tableau des volumes de mortier ou de plâtre employé par mètre cube de différentes maçonneries de pierre de taille (1850 [6, p.195], tableau repris par Barré 1896 [1, p.605]). Les informations suivantes sont tirées de ces tableaux :
  • Libages ordinaires 9,0% (en volume)
  • Assises ordinaires de 30 à 50cm de hauteur 7,5% (en volume)
  • Assises ordinaires de 50 à 80cm de hauteur 6,5% (en volume)
  • Parpaings et assises de 25 à 30cm d'appareil 8,0% (en volume)
Cette augmentation de la masse du mur peut être problématique dans le cas d'un édifice avec des problèmes de fondations, en augmentant rapidement et durablement les charges supportées par ces dernières après le coulinage. A contrario, l'augmentation de masse peut également jouer un rôle positif, en stabilisant des pans de murs soumis à des poussées horizontales. Nous reviendrons sur ce point en quantifiant cet effet sur un exemple plus loin.
A accélération sismique égale, l'augmentation de la masse du mur entraîne une hausse des forces sismiques qui s'appliquent à la structure, par rapport à la même structure non coulinée. Cependant l'apport de résistance supplémentaire grâce au coulinage dépasse largement les efforts supplémentaires apportées par la masse du coulis (Mazzon 2010 [15, p.155]).

6.3  Amélioration des capacités portantes

Fonctionnement d'un mur à deux parements en maçonnerie fourrée   La résistance d'un mur en maçonnerie fourrée est généralement limitée par des mécanismes de ruine globaux, qui conduisent à la ruine avant que soit atteinte la résistance limite des éléments constitutifs (pierres, brique etc.). Ces mécanismes sont la séparation des parements (separation of layers) et les désordres hors-plan (out-of-plane damages) comme par exemple le bouffement.
Les expériences montrent que les injections de coulis permettent de retarder l'apparition de ces mécanismes, et ainsi d'augmenter la résistance du mur, à la fois sous chargement statique et sous chargement dynamique (séisme). Cette augmentation est principalement due au fait que le coulis améliore la liaison entre les deux parements du mur, retardant ainsi leur flambement et l'apparition de bouffements qui conduisent rapidement à la rupture.
Résistance et rigidité en compression   La résistance à la compression des murs utilisés pour les expériences augmente en moyenne de 30% après coulinage sur l'ensemble des résultats d'expériences réunis par Mazzon (2010 [15]). Dans le meilleur des cas, la résistance a même été doublée.
Il y a en général d'un écart de 30% entre les meilleurs et les moins bons résultats d'une même série d'expériences à paramètres fixés (Vintzileou 2007 [23]). La quantification du renforcement suite au coulinage ne peut donc pas être connu avec exactitude.
La rigidité des murs augmente elle aussi suite au coulinage, sans excéder 1,6 fois la rigidité du mur non couliné. Les expériences indiquent que le ratio avant / après coulinage pour la rigidité est toujours inférieur à celui pour la résistance : on améliore moins la rigidité que la résistance grâce au coulinage.
La résistance des coulis a une influence très limitée sur la résistance du mur injecté. Vintzileou indique (2007 [23]) que l'augmentation de la résistance du coulis n'a une influence que jusqu'à 10MPa. Hors les coulis jusqu'à cette valeur sont les coulis à faible teneur en ciment (0% à 50% en masse). Les coulis comprenant une quantité plus importante de ciment n'améliorent donc pas la résistance du mur. A contrario, plus le coulis est résistant, plus l'augmentation de la rigidité du mur injecté est importante, ce qui peut être problématique dans le cas où seule une partie de l'édifice est coulinée (création de points durs).
Pour les coulis à faible teneur en ciment , Vintzileou donne (2007 [23]) la formule suivante pour estimer le gain en résistance fourni par le coulinage : \begin{align} \fwci=\fwco (1+1.25\frac{\Vi}{\Vw}\frac{\sqrt{\fgrc}}{\fwco})\text{ et } \GRd=1.35 \end{align} où :
  • $\fwci $ : résistance à la compression du mur après coulinage
  • $\fwco $ : résistance à la compression du mur avant coulinage
  • $\fgrc $ : résistance à la compression du coulis
  • $\Vi $ : volume du remplissage
  • $\Vw $ : volume du mur complet
  • $\GRd $ : coefficient de sécurité, pour passer de la valeur caractéristique à la valeur de calcul
Le lecteur pourra trouver une table récapitulative des résultats des études de renforcement par coulinage avec tests statiques ayant été menées jusqu'à 2010 sur les murs à double parements avec fourrure dans Mazzon 2010 [15, p.35-37].
Comportement sismique   Les essais réalisés par Mazzon (2010 [15]) indiquent que le coulinage ne modifie pas les caractéristiques dynamiques en terme de fréquences, modes propres, et raideur par rapport au modèle non couliné. Cependant il augmente de façon conséquente l'accélération sismique à laquelle peuvent résister les modèles coulinés (30% pour RM et 50% pour SM), en dépit de l'augmentation de la masse qui induit des efforts sismiques plus importants. Les essais précédents réalisés avec des coulis de ciment et dont les résultats sont rapportés par Mazzon donnaient de moins bons résultats (augmentation de la résistance de 20%).
Le coefficient d'amortissement des modèles URM était compris entre 2 et 4%. Il est amélioré pour les modèles RM, mais cette amélioration disparaît rapidement avec l'apparition des premiers désordres lors du chargement sismique. Les coulis à base de ciment semblent modifier la raideur globale, et donc le comportement sismique, contrairement aux coulis à base de chaux. Dans le cas des chargements dynamiques, les injections semblent avoir pour effet de concentrer les désordres dans quelques fissures présentant des longueurs et ouvertures conséquentes, et qui sont à comparer aux fissures multiples apparaissant sur les modèles URM (Mazzon 2010 [15, p.155]).
Les études expérimentales indiquent donc que le coulinage des maçonneries apporte une amélioration du comportement sismique des maçonneries, et que les coulis sans ciment ou à faible teneur en ciment semblent plus efficaces que les coulis à base de ciment.

7  Quantification de l'effet du coulinage

Nous avons vu ci-dessus que les coulinages augmentaient la masse des maçonneries en remplissant les vides. Cette simple opération peut avoir un effet bénéfique sur la stabilité des murs gouttereaux et contreforts reprenant des poussées de voûtes, puisque leur capacité à reprendre des efforts horizontaux est directement liée à leur poids. La réciproque est vraie : le vidage des maçonneries peut avoir un effet néfaste sur la stabilité des structures. Nous allons le montrer sur un exemple.
Considérons une voûte en plein cintre reposant sur deux murs. Dans la situation initiale, le poids volumique de la voûte et des murs vaut 2000kg/m3. En choisissant comme poussée de la voûte la poussée minimale $H=\Hmin $ permettant d'obtenir à un coefficient de sécurité de 2.0 pour les joints de la voûte, on trouve (pour cet exemple), un coefficient de sécurité de 2,27 en pied de mur. Considérons maintenant que le vidage des maçonneries ne touche que les murs : la masse volumique de la voûte ne change pas, et nous diminuons la masse volumique des murs de 10%. La poussée $H=\Hmin $ choisie ci-dessus donne encore un coefficient de sécurité de 2.0 pour la voûte, mais on trouve alors un coefficient de sécurité de 2,10 en pied de mur, soit une diminution de 7% du coefficient de sécurité du mur. Pour cet exemple, le vidage des maçonneries des murs conduit donc à une diminution de la sécurité globale de la voûte.
Fig 3: Ligne des pressions avant vidage des maçonneries
poussée telle que coefficient de sécurité voûte = 2.0

8  Conclusion

Les coulis d'injection font partie des interventions dont l'efficacité est prouvée pour le traitement des désordres provoqués par le vidage des maçonneries. Ils permettent également d'améliorer la résistance sismique des monuments anciens, comme l'indiquent les études récentes (Mazzon 2010 [15]), et font partie des interventions proposées par les normes européennes (eurocode 8 - Modena et al. 2009 [17]). De nouvelles formulations de coulis, à faible teneur en ciment, ou à base de chaux, ont montré leur meilleure adéquation avec les monuments anciens par rapport aux coulis à base de ciment (Vintzileou 2007 [23]).
Cependant l'opération de coulinage n'est pas réversible, et nécessite une formulation précise du coulis à injecter afin d'obtenir une compatibilité chimique et mécanique avec les maçonneries existantes.
 
Article mis en ligne le : 07/10/2012.
Révisé le : 17/07/2013.

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Notes:

1 Voir l'article de Van Gemert et al. (2004 [22]) qui mentionne l'utilisation de coulis de résines époxydiques dans les années 1975-1985 en Belgique.
2 Bajoyer : une des deux parois latérales d'une écluse.
3 "Le ciment doit être considéré comme un matériau essentiel dans les solutions d'injection puisqu'il est le plus simple et le plus efficace parmi les liants minéraux actuellement connus." - Zvorikine 1968 [24]
4 "La présence de ciment est inévitable pour l'obtention d'un coulis capable de réparer et renforcer une structure en maçonnerie non armée. Le plus petit pourcentage de ciment acceptable se trouve autour de 30% en poids des solides, pour les proportions d'eau et de superplastifiant utilisé [dans cette étude]" - "The presence of cement is unavoidable for the obtention of a material capable of repairing and strengthening an existing unreinforced masonry structure. The lower acceptable cement content is situated around 30%-wt of the solids, for the water and SP content used." - Toumbakari et Van Gemert 1997 [20]