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5 août 2012

Les planchers métalliques à poutrelles en double T

1  Introduction

Jusqu'aux années 1840, les éléments porteurs des planchers des habitations - solives, poutres, chevêtres etc. - étaient en bois, avec parfois des renforcements métalliques aux liaisons entre les éléments en bois ou au niveau des appuis sur la maçonnerie - étriers, ancres etc. Des systèmes de planchers métalliques sont inventés à cette époque pour les planchers des maisons et des immeubles de rapport. Nous nous intéressons dans la suite en particulier aux planchers avec solives à double T (aujourd'hui appelées I métalliques). Ce type de plancher dominera ce secteur de la construction à partir des années 1860, et connaîtra de nombreux développements jusqu'à l'apparition des premiers planchers en béton armé dans les années 1890.

2  Les planchers métalliques avant l'apparition des poutrelles à double T

2.1  Les planchers à fermettes

Avant l'apparition des poutrelles métalliques, des solives dites "fermettes" furent utilisées pour les planchers de théâtres et de bâtiments officiels (Fig. 1). Ces fermettes étaient le résultat de l'assemblage d'un arc en fer et d'un tirant. Elles jouaient le rôle de solives, et les entrevous étaient remplis avec des poteries creuses. Employées principalement pour les grands édifices et les théâtres, elles furent peu utilisées pour les planchers d'habitation, en raison de leur coût, rendu non compétitif par les nombreux assemblages nécessaires (Chapron 1860 [3]). Une ordonnance de police rendait l'utilisation du métal obligatoire pour la construction des planchers et des combles des théâtres à Paris, ce qui a pu favoriser l'emploi de ces planchers à fermettes (Sirodot 1851 [22, p. 70]). Ce type de plancher fut rapidement dépassé par les planchers à profilés à double T que nous allons voir dans la suite, mais des perfectionnements des systèmes de fermes étaient encore proposés lors d'une exposition en 1849 (Sirodot 1851 [22, p .75]).
Fig 1: Fermette
d'après Chapron 1860 [3]
scanné par la BNF

2.2  Le système Vaux avec fers méplats

Vaux fit breveter1 en juillet 1845 un système de plancher innovant, avec solives formées de fers méplats de forte dimension (Fig. 2). Ces fers étaient posés de champ2 et entretoisés avec des barres coudées. Ils avaient environ 8 à 9mm d'épaisseur et 10 à 20cm de hauteur . Ils étaient cintrés vers le haut de 1cm/ml (soit une contre-flèche de 1/100). Les entrevous étaient hourdés au plâtre.
Le système Vaux serait le premier de ce type à Paris selon Janniard (1847 [12]), alors que les quelques planchers métalliques rarement utilisés en France pour les habitations étaient des planchers à fermettes3. Ce système restait cependant plus coûteux qu'un plancher avec solives bois (Chapron 1860 [3] - nous reviendrons plus bas sur les aspects économiques des planchers métalliques par rapport aux planchers bois). Par rapport aux planchers à fermettes, ce système nécessitait des quantités de métal plus importantes en raison de sa faible hauteur, mais beaucoup moins de main-d'œuvre pour sa mise en place (Chapron 1860 [3]). Morin décrit ce système de plancher et les moyens pour son dimensionnement, et décrit également des essais de charges ayant été réalisés (1853 [16]).
Nous verrons dans la suite que les premiers planchers avec poutrelle à double T reprennent directement les dispositions des entrevous du système Vaux.
Fig 2: Système de plancher Vaux
d'après Denfer 1894 [7]
scanné par Google
Un autre système, assez similaire à celui de Vaux, utilisant des lames de tôles assemblées bout-à-bout par rivetage, avait été inventé par Schwichardi précédemment. Il est souvent mentionné - Janniard 1847 [12], Chapron 1860 [3] - mais peu décrit. Nous n'avons pas trouvé d'informations sur sa date d'invention et sa diffusion.

3  Les poutrelles en double T

3.1  Apparition progressive d'un nouveau profil

Le four à puddler, pour produire le fer du même nom, est inventé par Cort en 1784, ainsi que les rouleaux à cannelures pour produire des profilés laminés. Cependant il faut attendre les années 1820 pour que soient commercialisées les premières cornières en L et des fers en T (simple). A la même époque, John Birkinshaw fait breveter en 1820 les premiers rails métalliques, dont la forme est proche du I. Ses rails seront utilisés pour le premier chemin de fer en 1822-1825 en Angleterre (Lemoine 1993 [15]).
Les premiers profilés laminés en double T utilisés en France datent de 1845 ou 1846, et sont en fait des rails perfectionnés, c'est à dire des rails dont l'âme a été légèrement affinée par rapport à un rail standard, et dont la forme est voisine à celle dite en os de chien. Ils sont employés par Eugène Flachat pour la construction de combles pour la compagnie du chemin de fer de Saint-Germain, et furent produits par les forges de la Villette et par les forges de Montataire (Jolly et Joly 1863 [13]). Cependant ces profilés présentaient une efficacité faible par rapport à leur poids, en raison de l'épaisseur importante de l'âme par rapport à la dimension des ailes, et ils ne furent employés que pour des combles, et non pour les planchers (Collectif 1853 [6]). De plus, un des problèmes rencontré lors des recherches pour affiner les rails vers les formes en I fut la production de profilé suffisamment longs et sans cassures. Lemoine (1993 [15]) indique que le premier plancher en France utilisant des solives à double T date de février 1849 (siège de la maison Kaulek, 18 boulevard des Filles-du-Calvaire à Paris).
La forme des profilés à double T et les dimensions qu'il était possible de produire évoluent tout au long du XIXe siècle avec le perfectionnement des procédés de laminage. Le rapport des épaisseurs ailes/âme et le rapport de la largeur des ailes sur la hauteur de l'âme augmentent progressivement : les âmes s'affinent, les ailes s'élargissent et s'épaississent (voir Trouillet et al. 1988 [24]). Par ailleurs les forges proposent des innovations en complexifiant la forme de base en forme de I (Fig. 3), et proposent des poutrelles ayant des hauteurs de plus en plus grandes. A titre d'exemple, nous avons réuni sur ces évolutions les éléments suivants :
  • Les forges de Montataire ont présenté à l'exposition de l'industrie du bâtiment de 1849 une série de fers à double T, de 110mm à 180mm de haut. Les forges de la Providence ont présenté à la même exposition des fers à double T de 100mm à 220mm de haut (Sirodot 1851 [22, p .71])
  • Les forges de la Providence déposent un brevet4 en 1849 pour la fabrication des fers à double T perfectionnés. Le perfectionnement mentionné pour l'obtention du brevet consiste à donner une épaisseur variable à l'âme (plus faible au centre, et qui augmente vers les ailes), pour alléger le profilé. Les forges de la Providence indiquent être parvenues à réaliser des fers jusqu'à 220mm de haut, et 14m de long en 1849 (Collectif 1853 [6]). Cependant les longueurs des profilés du XIXe siècle sont plus généralement de l'ordre de 6m00, et ne dépassent pas 12m00 selon Lemoine 1993 [15].
  • En 1851, Sirodot indique que les fers obtenus au laminoir ne dépassent pas 300mm et donne un exemple produit par les forges de la Providence (1851 [22, p .273]).
  • En 1853, il est possible de produire au moins des profilés ayant jusqu'à 260mm de hauteur (par exemple voir Laboulaye 1853 [14]).
  • En 1860, il est possible de produire au moins des profilés ayant jusqu'à 300mm de haut (par exemple voir Foy 1863 [9]). Lemoine indique qu'à partir de cette date, les dimensions des sections réalisables augmentent grâce à l'emploi de l'acier doux en remplacement du fer puddlé (Lemoine 1993 [15]).
  • En 1863, Jolly et Joly font état d'essais de production de fers à double T de 500mm de haut par les forges de Commentry, mais indiquent que les moyens de laminage ne sont pas suffisamment puissants pour permettre d'obtenir des fers suffisamment long avec cette dimension (1863 [13]).
  • Trouillet et al. (1988 [24]) indiquent que les usines françaises ne sont pas en mesure encore de produire des profilés de 500mm de haut en 1905.
Fig 3: Différents profils de poutrelles en double T existant en 1860
d'après Chapron 1860 [3]
scanné par la BNF
La forme en I de ces nouveaux profilés laminés des années 1840 n'est pas novatrice en elle-même. En effet des poutres en forme de I étaient utilisées bien avant l'apparition des poutrelles laminées à double T, particulièrement en Angleterre, mais ces poutres étaient en fonte. Elles furent utilisées pour les planchers d'usine. Cependant, à la suite d'une série d'accidents dans des usines (incendies) et sur des ponts (effondrement), il était apparu que la fiabilité des poutres en fonte soumises à la flexion était insuffisante. Il était possible de réaliser ces formes en I avec la fonte car cette dernière était coulée. Par contre, les laminoirs ne permettaient pas d'obtenir à la même époque ces formes en fer puddlé, ce dernier ne présentant pas les défauts de la fonte pour la flexion.

3.2  Dénomination

Les solives métalliques sont appelées poutrelles ou fers à plancher. Les poutrelles sont initialement qualifiées à (ou en) double T ou encore à doubles nervures, et on distingue alors les fers ordinaires à plancher qui ont des nervures étroites et les fers à larges ailes qui recouvrent tous les autres fers à double T. Cette appellation est utilisée ensuite conjointement avec poutrelles à I, et semble ensuite disparaître. A la fin du XIXe, le profil des poutrelles varie pour chaque forge, ces dernières publiant chacune son propre catalogue. Il faut attendre les années 1890 pour que commence la standardisation des dimensions et noms des fers à plancher, notamment sous l'impulsion du Comptoir des Poutrelles, créé en 1896. Le Comptoir des Poutrelles rechercha l'uniformisation des dimensions des profilés produits par les forges ayant adhéré au Comptoir, puis publia par la suite un catalogue annuel, La poutrelle métallique dans ses principales applications, regroupant les dimensions des profilés disponibles. Les appellations qui s'imposent à cette époque sont IAO (I à Ailes Ordinaires), ILA (I à Larges Ailes), IPN (I à Profil Normal) etc. .

3.3  Dimensions et inertie des poutrelles

Les dimensions des poutrelles, et en particulier leurs inerties, sont des données essentielles pour permettre le dimensionnement de ces profilés. Ces données sont communiquées dans les catalogues des forges, et reprises dans diverses publications qui en font des synthèses. Les dimensions les plus anciennes que nous ayons trouvé sur les profilés proviennent des ouvrages suivants, disponibles en libre accès sur internet actuellement (voir les liens dans la bibliographie en fin d'article) :
  • Laboulaye 1853 [14] : tableau relatif aux profilés des forges de la Providence
  • Morin 1853 [16, p. 276] : tableau relatif aux profilés des forges de la Providence et de Montataire
  • Claudel 1857 [4] : tableau relatif aux profilés des forges de la Providence et de Montataire
  • Chapron 1860 [3] : tableaux relatif aux profilés des forges de la Providence, dont un sur les solives à nervure supérieure renforcée (aile supérieure plus épaisse que l'aile inférieure). Cet article contient également des tableaux sur les fers en U inversés (fers Zorès) dont nous n'avons pas parlé ici.
  • Foy 1863 [9] : synthèse de catalogues, dont ceux de la forge de la Providence, des forges de la Sambre, des forges de MM. Dupont et Dreyfus, des forges de Châtillon et de Commentry, et des forges de Montataire.
  • Jolly et Joly 1863 [13] : tableaux de synthèse sans référence à des forges particulières. Fers à double T ordinaires pour planchers, Fers à double T larges ailes pour planchers, Fers à double T larges ailes et ailes inégales.
L'article de Trouillet et al. (1988 [24]) indique que le Laboratoire régional de Nancy avait réuni en 1988 une base de 42 catalogues de profilés, dont le plus ancien était le catalogue des forges de la providence de 1861, ce qui a permit à ces auteurs de faire une étude de l'évolution des formes et proportions des profilés à double T.

3.4  Résistance

Les limites élastiques les plus basses trouvées dans la littérature sont de 170MPa pour le fer puddlé (guide du STRRES [23]). Cependant les valeurs trouvées par essai sur ces matériaux sont plus souvent comprises entre 230 et 300MPa, voir plus. Ces limites élastiques moyennes ne doivent pas être confondues avec les contraintes de travail qui sont choisies pour le calcul des profilés à cet époque, et qui sont comprises entre 60MPa et 100MPa. Nous reviendrons sur les caractéristiques mécaniques du fer puddlé dans un autre article.
Dans le cas particulier des poutrelles en I, les essais réalisés par Jolly et Joly en 1863 [13] montrent que la résistance à la traction dans l'âme et dans les ailes ne sont pas les mêmes : la contrainte à la rupture dans les ailes est plus importante que dans l'âme (rapport d'environ 3/2 entre les deux).

4  Typologie des planchers avec fers à double T

4.1  De nombreuses configurations possibles

Les planchers se composent de poutrelles métalliques, du système porteur entre poutrelles, de l'aire de plancher, et du plafond. Il existe plusieurs possibilités pour chacun de ces éléments, et plus particulièrement du système porteur entre solive : entretoises en bois, hourdis, voûtain... Cela a conduit a une multiplication des systèmes de plancher, certains étant désignés par le nom propre de leur inventeur.
Nous présentons ci-dessus les principales typologies trouvées dans la littérature et observées sur des chantiers de restauration. Il n'est cependant pas possible de faire une liste exhaustive de l'ensemble des systèmes qui ont existé.

4.2  Poutrelles

Outre les fermettes, les fers méplats, et les profilé en double T dont nous avons déjà parlé, il existe également les profilés en croix (X) et en T mais ces derniers ont été assez peu utilisés. Les profilés en tripe T sont des profilés en double T avec une nervure supplémentaire située au milieu de l'âme. Enfin, il existe également des profilés de type Zorès, en U et V inversés, dont nous ne parlerons pas ici.
Nous nous intéressons dans la suite aux planchers comportant des poutrelles en double T, qui sont les poutrelles les plus courantes.
Les poutrelles sont cintrées afin d'être installées avec une contre-flèche, sauf dans le cas où le plancher porte directement sur les solives sans l'intervention de maçonnerie de remplissage. La valeur la plus fréquemment citée est 1cm/ml (comme pour les fers méplats du système Vaux), soit 1/100e, mais on trouve également la valeur de 1/200e dans la littérature technique du XIXe. Denfer indique en 1894 [7] qu'il faut absolument indiquer lors de la commande des fers si les pièces doivent être droites (sans contre-flèche), sans quoi elles sont livrées avec le cintrage ordinaire, ce qui montre bien le caractère très répandu de l'utilisation d'une contre-flèche. Jolly et Joly critiquent en 1863 la flèche du 1/200e : il faudrait selon eux la réduire à 1/300e de la portée seulement. Ils indiquent également que des essais avaient montré que la courbure n'augmentait pas la résistance (1863 [13]).
Les solives sont régulièrement ancrées à la maçonnerie avec des systèmes comme celui illustré sur la figure 5. Les traités de construction de l'époque conseillent l'application d'une peinture à l'huile pour freiner la corrosion (Oppermann 1856 [17] par exemple).

4.3  Système porteur entre solives

Avec entretoises bois, avec ou sans augets   Les entretoises sont posées sur l'aile inférieure du profilé, et leurs abouts calées contre les âmes des profilés de manière à empêcher leur déversement. Elles peuvent supporter ou non des augets, dont la face inférieure correspond au plafond, ou au milieu de l'entretoise.
Avec hourdis en auget des entrevous   L'hourdis est réalisé en plâtre à Paris et dans sa région. Il est soutenu par un treillage métallique, qui se compose de :
  • ou bien des entretoises coudées avec fentons. Ce type correspond au système Roussel (l'auget peut-être remplacé des briques creuses - les deux situations sont représentées conjointement sur la figure 4), qui est le système de plancher le plus utilisé à Paris selon Chapron (1860 [3]), probablement en raison de sa facilité et rapidité de mise en œuvre (pas de percement des solives ni d'assemblages compliqués comme dans les systèmes ci-dessous). La figure 6 montre ce type de plancher en cours de montage (Opéra Garnier).
  • ou bien des boulons, qui peuvent être situés à diverses hauteur par rapport à l'âme. Si les boulons sont centrés par rapport à l'âme, on utilise alors des fantons à crochet
  • ou bien des entretoises assemblées mécaniquement en haut et en bas de l'âme du profilé. Des fentons reposent sur l'entretoise basse.
  • ou bien des entretoises simplement posées sur l'aile inférieure du profilé. Un chaînage complémentaire est alors assemblé mécaniquement sur les ailes hautes et basses de la poutrelle pour empêcher son déversement. Des fentons complètent ce système.
  • Chapron (1860 [3]) mentionne un exemple où le treillage est remplacé par une tôle ondulée, qui porte le hourdis.
Denfer est critique vis à vis des hourdis à augets, car ils ne protègent pas suffisamment les fers en cas d'incendie, et parce que les hourdis pleins, que nous allons voir maintenant, augmentent la portance du plancher et sont selon lui une meilleure solution (Denfer 1894 [7, 139.]) .
Fig 4: Système de plancher Roussel
Avec auget plâtre à g., avec briques creuses à d.
d'après Oppermann 1856 [17]
scanné par Google
Fig 5: Système de plancher à entretoise coudée et fentons à crochets
Figures à gauche : ancre assemblée mécaniquement à la solive pour liaisonnement à la maçonnerie
d'après Laboulaye 1853 [14]
scanné par Google
Fig 6: Vue de la charpente métallique avec des ouvriers
Paris, Opéra Garnier, Construction, vers 1865
Fonds Delmaet et Durandelle - Bibliothèque numérique INHA - 2
Avec hourdis pleins des entrevous   Les hourdis pleins sont maçonnés de manière à se porter comme une plate-bande. Les poutrelles sont maintenues en position avant la mise en place du hourdis par des boulons. Ce système permet d'avoir un entraxe plus important entre poutrelles que pour les hourdis avec auget (1m30 environ au lieu d'un mètre).
Avec hourdis en poteries, pots, briques ou carreau en plâtre creux   Les éléments creux formant le hourdis peuvent être de plusieurs types :
  • hourdis en poterie creuses (Fig. 7) portées par des entretoises métalliques, et éventuellement des fentons. Ces poteries ou pots creux sont également appelées globes. Ils sont utilisés dès les premiers combles métalliques de la fin du XVIIIe. Leur utilisation diminue dans les années 1860 pour les planchers, et a disparu à la fin du siècle, remplacés par les briques creuses. Sirodot indique que les globes ont parfois été réalisés en plâtre pour des raisons d'économie (1849 [21, p .203]).
  • hourdis en briques creuses de forme parallélépipédique retenues elles aussi par des entretoises et des fentons (système Roussel vu plus haut).
  • hourdis en carreau de plâtre creux, qui porte d'une seule pièce entre deux poutrelles. L'utilisation de ces carreaux en plâtre creux, prêt à poser, augmente autour de 1860 . Chapron [3] donne pour l'exemple le cas d'un hourdis de ce type de 0m16 d'épaisseur et d'entraxe 1m00 entre solives, qui a résisté à 3000kg/m2 pendant 6 semaines lors d'un essai.
  • hourdis en plâtre creux, où des vides cylindriques parallèle aux solives sont ménagés dans le hourdis lors du coulage par des mandrins en bois.
Parmi les hourdis creux, les hourdis creux préfabriqués à une, trois ou cinq pièces prennent une place importante à la fin du XIXe. Il existe un très grand nombre de systèmes, leur fonctionnement étant similaire. Ils ne semblent pas exister en 1860 (non mentionnés par Chapron), et le système est bien établi en 1894 (différents types de hourdis décrits par Denfer). Ils peuvent être réalisés en terre cuite, en ciment ou béton de ciment, en mâchefer, etc.
Fig 7: Poterie ou pot creux, encore appelé globe
d'après Chapron 1860 [3]
scanné par la BNF
Voûtains   Le système porteur entre solive peut-être constitué de voûtains en briques creuses, en briques pleines, ou en béton sur tôle cintrée. On trouve généralement une forme en "béton pilonné" ou en plâtre au dessus du voûtain.

4.4  Aire de plancher

Les aires de plancher ne font pas l'objet de modification particulières par rapport aux possibilités offertes par les planchers bois. On retrouve les parquets sur lambourdes, ou fixés directement sur les entretoises en bois, des aires en asphalte ou en ciment, etc.

4.5  Plafond

Les plafonds sont composés généralement de deux enduits : un plâtre ordinaire et un plâtre fin . Pour éviter les fissures indiquant la position des fers, Denfer recommande une épaisseur du plafond plâtre de 3cm pour les ailes étroites, et de 4 à 5cm pour les ailes larges (1894 [7]). Il interprète l'apparition des fantômes de poutres comme suit : "Ce fait tient à la condensation qui a lieu dans bien des circonstances sur le plâtre refroidi par le métal, et, en ces points plus humides, les poussières trouvent plus d'adhérence."
Le développement des hourdis creux préfabriqués offre des systèmes dans lesquels les hourdis creux enveloppent complètement le fer, qui n'est alors plus en contact avec l'enduit plâtre du plafond.

4.6  Dimensions

Les dimensions des planchers en fer varient suivant les systèmes de remplissage :
  • L'entraxe5 entre les poutrelles est compris entre 0m50 et 1m20, et vaut le plus souvent 0m75 à 0m80
  • L'appui des solives sur les murs vaut de 20 à 25cm, soit environ 1,5 fois la hauteur de la solive
  • Entretoises coudées : en forme d'étrier, supports des fentons, 15 à 25mm de côté, 0m80 à 1m50 d'entraxe.
  • Entretoises par boulons : 16 à 18mm, entraxe 1m00 à 1m20, avec ou sans fentons
  • Fentons ou fantons : fers carrés (fers carillons) de 8mm à 14mm de côté , d'entraxe 20 à 25cm

5  Aspects économiques, culturels et sociaux

5.1  Evolution des prix des planchers en bois et des planchers en fer

En 1851, Sirodot compare le prix de différents systèmes de plancher qui ont été présentés à l'exposition de 1849, comprenant le système Vaux, des systèmes à fermettes, et des systèmes avec poutrelle en double T. Tous les planchers métalliques sont plus coûteux que les planchers bois (1851 [22, p .277]). En 1853, le prix des planchers métalliques (du système Vaux) "n'est pas sensiblement supérieur à celui des planchers en bois, parce qu'ils dispensent du lattis pour le plafond" (Morin 1853 [16]). Oppermann indique en 1856 [18] que les planchers en bois restent plus compétitifs que les planchers en métal pour les portées petites et moyennes (jusqu'à 5m00), puis qu'ils deviennent plus chers que les planchers en métal pour les portées supérieures (comparaison à partir des prix au mètre carré). En revanche, les prix mentionnés par Claudel en 1857 [4] montrent que dans les exemples choisis les planchers en métal sont entre 20 et 25% plus cher que les planchers en bois. Il n'est pas possible donc de tirer une conclusion claire ici6, si ce n'est peut-être que les planchers bois ne sont pas tout de suite dépassé d'un point de vue économique par les planchers en métal dans les années 1850.

5.2  Avantages des nouveaux planchers métalliques

Cependant, au delà du prix, les qualités suivantes sont mises en avant pour encourager l'utilisation de planchers en fer :
  1. Leur hauteur est plus faible que celle d'un plancher bois (gain de place), car le hourdis, situé entre les solives métalliques, remplace l'aire en plâtre, située sur les solives bois.
  2. Ils sont incombustibles.
  3. Ils sont plus rigides que les planchers bois, et permettent une meilleure isolation acoustique.
  4. Contrairement aux planchers bois, ils ne fléchissent pas avec le temps (pas de fluage).
  5. Ils ne sont pas sujet aux attaques des insectes xylophages, et par conséquent ne participent pas à leur propagation.
  6. Ils permettent de réduire la taille des trémies pour le passage des conduits de cheminée, mais également offrent plus de possibilités pour le placement de ces conduits, l'entraxe entre poutrelles métalliques étant environ deux fois supérieur à celui des solives bois.

5.3  Transitions

Les écrits des années 1840-1860 sur les planchers en fer mentionnent fréquemment d'une part les plancher en bois, et de l'autre les planchers en fer, en opposant les qualités et défauts respectifs (voir les avantages mis en avant ci-dessus). Les poitrails font l'objet du même type d'articles comparatifs. Il faut reconnaître que certains auteurs forcent le trait sur les défauts7 du bois pour la construction, et engagent nettement les maîtres d'ouvrage et les maîtres d'œuvre à choisir les planchers métalliques, malgré la différence de prix encore sensible entre les planchers en bois et les planchers métalliques.
En pratique, il semble cependant que la transition ait été plus nuancée que cette opposition binaire entre les deux matériaux. Fredet indique (2003 [10]) que l'utilisation des poutrelles métalliques pour les planchers est progressive. Ainsi il existe un temps des planchers mixtes, où les poutrelles métalliques sont utilisées pour les éléments les plus sollicités (solives d'enchevêtrures) ou présentant un intérêt en terme de sécurité (chevêtres des conduits de cheminées), le reste des éléments du plancher restant en bois.
Une série de grèves8 des charpentiers de longue durée a lieu en 1822, 1833, 1840 et 1845 (Fredet 2003 [10]). Ces grèves favorisent l'émergence de l'utilisation de la fonte et du fer puddlé pour les bâtiments, pour les planchers et les poitrails notamment (Hérard 1845 [11, p. 371]). Il est intéressant de noter que la dernière grève des charpentiers a lieu la même année que le dépôt de brevet du système Vaux, qui va devenir un système de plancher en fer très populaire (du moins dans les textes) avant l'arrivée des poutrelles à double T, quelques années plus tard.
Pour finir, nous reproduisons ci-dessous deux citations concernant la valeur relative attribuée aux planchers à fermettes et plancher Vaux, qui prennent un relief particulier aujourd'hui de manière anachronique.
L'excédant de dépense, dans les systèmes à fermettes, réside dans la main d'œuvre, qu'il faut surtout réduire lorsqu'il s'agit d'objets dont le but principal, unique même, est d'offrir une résistance mécanique. Dans le système Vaux, au contraire, cet excédant réside dans un supplément de matière, lequel constitue une valeur intrinsèque, réelle, tout en offrant plus de chances de durée.
Janniard 1847 [12]
Cependant dans ces solives [du système Vaux] il y a plus de métal que dans les fermettes, à cause de leur peu de hauteur, mais il y a beaucoup moins de main d'œuvre ce qui est préférable, la main-d'œuvre est une valeur morte, tandis que le métal représente toujours une valeur réelle.
Chapron 1860 [3]

6  Conclusion

Il reste encore beaucoup d'informations à réunir sur l'histoire des planchers. La majorité des sources utilisées pour réaliser cet état des lieux sont des sources contemporaines aux planchers qu'elles décrivent. Elles sont souvent écrites par les personnes qui promeuvent leur propre système de plancher, et il faut donc prendre avec précaution les arguments qui figurent dans ces sources.
Nous poursuivrons prochainement cette réflexion sur les planchers à fers en double T en apportant des éléments permettant la comparaison des modes de dimensionnement de ces planchers tels qu'ils étaient utilisés à l'époque de leur mise en œuvre, avec le mode de dimensionnement imposé par les normes actuelles.
 
Article mis en ligne le : 05/08/2012.
Révisé le : 22/09/2013.

Bibliographie

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A. A. BOUDSOT : Des poitrails. Revue générale de l'architecture et des travaux publics, 6, 1845-1846. URL http://archive.org/details/revuegnraled61845pariuoft.
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[7]
J.  DENFER : Charpenterie métallique - Menuiserie en fer & Serrurerie, vol. 1 de Encyclopédie des travaux publics. Gauthier-Villars, Paris, 1894. URL http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k910002.
[8]
ESDEP : Histoire de l'utilisation du fer et de l'acier dans les structures L1B-4-1. In Construction métallique : introduction à la conception.
[9]
J.  FOY : Moments de résistance et poids par mètre courant des poutres en tôle. Nouvelles annales de la construction, avr. 1863. URL http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32826369p/date.
[10]
J.  FREDET : Les maisons de Paris : Types courants de l'architecture mineure parisienne de la fin de l'époque médiévale à nos jours, avec l'anatomie de leur construction. Editions de l'Encyclopédie des Nuisances, oct. 2003.
[11]
RARD : Planchers en fer. Revue générale de l'architecture et des travaux publics, 6, 1845-1846. URL http://archive.org/details/revuegnraled61845pariuoft.
[12]
H.  JANNIARD : Des planchers métalliques. Revue générale de l'architecture et des travaux publics, 1847. URL http://archive.org/details/revuegnraled71847pariuoft.
[13]
C.  JOLLY et T.  JOLY : Études pratiques sur la construction des planchers et poutres en fer, avec notice sur les colonnes en fer et en fonte. Dunod, Paris, 1863. URL http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5819280q.
[14]
C.  LABOULAYE : Dictionnaire des arts et manufactures de l'agriculture des mines etc. - Description des procédés de l'industrie française et étrangère. Encyclopédie technologique. Librairie de L. Comon, 2e édn, 1853. URL http://www.google.fr/books?id=fSy5fD5iVpcC.
[15]
B.  LEMOINE : L'architecture du fer. Champ Vallon, 1993.
[16]
A.  MORIN : Leçons de mécanique pratique - résistance des matériaux. Librairie de L. Hachette et Cie, 1853. URL http://books.google.fr/books?id=20SundfzStkC.
[17]
C. A. OPPERMANN : Note sur divers systèmes de planchers en fer économiques. Nouvelles annales de la construction, p. 27-28, mars 1856. URL http://catalog.hathitrust.org/Record/000046919.
[18]
C. A. OPPERMANN : Parallèle entre les planchers en fer et les planchers en bois. Nouvelles annales de la construction, p. 29, mars 1856. URL http://catalog.hathitrust.org/Record/000046919.
[19]
PERREYMOND : Grève des charpentiers en 1845. Revue générale de l'architecture et des travaux publics, 7, 1847-1848. URL http://archive.org/details/revuegnraled71847pariuoft.
[20]
J.-M. PéROUSE DE MONTCLOS : Architecture : méthode et vocabulaire. Impr. nationale : Ed. du patrimoine, Paris, 6e édn, 2007.
[21]
H.  SIRODOT : Industrie du bâtiment - Exposition de 1849. Revue générale de l'architecture et des travaux publics, 8, 1849-1850. URL http://archive.org/details/revuegnraled81849pariuoft.
[22]
H.  SIRODOT : Industrie du bâtiment - Exposition de 1849 - Charpente. Revue générale de l'architecture et des travaux publics, 9, 1851. URL http://archive.org/details/revuegnraled91851pariuoft.
[23]
STRRES : Réparation et rénovation des structures métalliques, déc. 2008. URL http://www.strres.org/.
[24]
P.  TROUILLET, J.  SCHWARTZ et R.  JOLLIOT : Profilés métalliques anciens - données sur la géométrie. Bulletin de liaison du Laboratoire des Ponts et Chaussées, (157), sept. 1988.

Notes:

1 Brevet d'invention et de perfectionnement délivré en France - M. Vaux - disposition de planchers métalliques - 10 juillet 1845 pour une durée de 15 ans. Voir Bulletin de la Société d'encouragement pour l'industrie nationale 1846 [5].
2 L'expression "posé de (ou sur) chant" qualifie un objet posé sur sa face la plus étroite. On trouve l'orthographe "champ" dans les dictionnaires et livres antérieurs au XXe. De nos jours, l'orthographe "chant" est retenue dans les dictionnaires. Certains auteurs conservent cependant l'ancienne orthographe (voir par exemple Pérouse de Montclos [20]). Pour plus d'informations, voir Blais 2008 [1].
3 Les premiers planchers en métal en France avaient été imaginés par M. Ango en 1780 (ESDEP [8]), mais il ne semble pas qu'ils se soient répandus.
4 Brevet d'invention de 15 ans pris le 1er mars 1849, par M. Halbon, de Belgique, pour la fabrication des fers à double T, appliqués dans la construction des planchers et combles de fermes en fer - Collectif 1853 [6].
5 L'entraxe est l'espacement entre deux objets identiques et parallèles.
6 Claudel ne précise pas si les données sur les prix datent de la 4e édition de son ouvrage, ou si elles reprennent des valeurs déjà publiées et qui auraient pu changer. Nous n'avons pas trouvé les éditions antérieures pour faire cette vérification.
7 Parmi les attaques contre l'usage du bois, celle de Boudsot est particulièrement tranchée : "Parmi les habitudes vicieuses et les procédés condamnables qui se perpétuent dans l'art du constructeur, on peut citer, comme un des plus fâcheux, l'emploi que l'on fait du bois pour l'établissement des poitrails de maisons ; et il serait à désirer que la voirie de la ville de Paris rejetât un mode de construction si éminemment contraire à la durée des édifices et à la sécurité des habitants." (Boudsot 1845 [2])
8 Pour les raisons ayant conduit à la grève des charpentiers de 1845, et son déroulement, voir Perreymond 1847 [19].