13 janvier 2013

Coefficients de sécurité des voûtes

1  Introduction

La stabilité des voûtes est généralement exprimée à l'aide d'un coefficient de sécurité. Ce dernier permet de mesurer l'écart entre la situation étudiée et la situation critique où la voûte modélisée s'effondre. Il existe plusieurs types de coefficient de sécurité : coefficient de sécurité géométrique, coefficient de rupture, coefficient de sécurité face au glissement etc.
Nous allons passer en revue ces coefficients de sécurité. Nous donnerons à chaque fois des interprétations concrètes de la signification de ces coefficients de sécurité, ainsi que les valeurs pratiques auxquelles doivent être comparées les coefficients de sécurité obtenus par le calcul. Nous présenterons également les coefficients de sécurité partiels $\gamma $ à appliquer aux charges selon les normes actuels, et l'incidence sur les coefficients de sécurité que nous présentons. Nous verrons pour finir deux exemples que les techniques anciennes de calcul de stabilité des arcs peuvent être réinterprétées à partir des coefficients de sécurité utilisé aujourd'hui.
Nous supposerons dans la suite que les bases du calcul à la rupture sont connus par le lecteur, ainsi que les concepts de poussées actives et passives. Nous rappelons simplement que :
  • Chaque état d'équilibre d'un arc est représenté par une ligne de pression (line of thrust1).
  • Un état d'équilibre n'est pas nécessairement stable.
  • Un état d'équilibre stable est caractérisé par une ligne de pression partout intérieure à la maçonnerie (nous reviendrons en détail sur ce point dans la suite).

2  Coefficient de sécurité géométrique

2.1  Définition

Le coefficient de sécurité géométrique (geometric factor of safety) est noté $\cgs $ dans la suite.
Le coefficient de sécurité géométrique d'un joint soumis à un effort normal de compression $N$ et un moment $M$ est défini comme $\cgs=D\left|\frac{N}{2M}\right|$.
Le coefficient de sécurité géométrique d'une ligne de pression est le minimum des $\cgs $ de l'ensemble de ses joints. Il correspond donc dans le cas d'un arc au rapport entre l'épaisseur de l'arc étudié et l'épaisseur minimale de l'arc contenant la ligne de pression (Fig. 1).
Le coefficient de sécurité géométrique d'un arc est le maximum des $\cgs $ de l'ensemble de ses lignes de pression. Sur la figure 1, la ligne de pression représentée est celle qui correspond au coefficient de sécurité géométrique de l'arc soumis à son poids propre uniquement.
Fig 1: Coefficient de sécurité géométrique D/dd'une ligne de pression

2.2  Interprétation concrète

Ce coefficient de sécurité est simple à interpréter, car sa définition est géométrique, contrairement au coefficient de rupture $F$ que nous verrons plus bas, et qui fait intervenir les contraintes.
Réduction de l'épaisseur de l'arc   Si le coefficient de sécurité géométrique d'une ligne de pression de l'arc vaut...
  • 1, cela signifie que cette ligne de pression est exactement contenue dans l'arc, et qu'elle touche l'intrados ou l'extrados en au moins un point.
  • 2, cela signifie que cette ligne de pression est contenue dans un arc 2 fois plus fin que l'arc réel.
  • 3, cela signifie que cette ligne de pression est contenue dans un arc 3 fois plus fin que l'arc réel. Dans ce cas particulier, on dit que la ligne de pression est contenue dans le tiers-central de l'arc.
  • etc.
Si le coefficient de sécurité géométrique d'un arc vaut $x$, cela signifie qu'il existe une ligne de pression qui est comprise dans un arc $x$ fois plus fin que l'arc réel.
Le coefficient de sécurité géométrique d'un joint diverge lorsque la ligne de pression s'approche du centre du joint (division par zéro).

5 janvier 2013

Calcaires - Poids et résistance

1  Introduction

La résistance à la compression des maçonneries anciennes dépend de la résistance des pierres, de la résistance du mortier, et de la typologie de la maçonnerie (mur à simple ou double parement, avec ou sans fourrure, etc.). Nous allons étudier sur ce blog ces points successivement, en commençant dans cet article par la résistance à la compression et le poids volumique des pierres calcaires.
Variabilité des résultats  La principale difficulté pour l'étude des caractéristiques des calcaires provient de la grande variabilité des valeurs mesurées. Par exemple, pour la résistance à la compression, il existe une différence :
  • entre les différentes carrières (de 15kg/cm2 pour le tuffeau d'Antoigné à 2600 kg/cm2 pour la pierre de Comblanchien) ;
  • entre les différents bancs d'une même carrière ;
  • entre les différentes pierres tirées d'un même banc1 (jusqu'à un rapport de 1 à 6 par exemple pour la pierre de Saint-Pierre Aigle roche franche - Noël 1968 [20]), même en excluant les différences liées à un défaut évident de la pierre ;
  • entre les différents échantillons tirés d'une même pierre (jusqu'à un rapport de 1 à 2 environ), même en excluant les différences liées à un défaut évident de la pierre.
En raison de cette variabilité, il n'est pas possible de connaître la résistance exacte d'une pierre sans l'avoir testée, et donc, les essais étant destructifs, sans l'avoir détruite. Il existe de nombreuses tables de résistance des pierres, qui permettent de se donner des ordres de grandeur de la résistance, mais comme l'indique Dupuit : "Le constructeur ne peut donc consulter avec grand profit les tables [...] car elles ne peuvent lui apprendre quelle sera réellement la résistance des matériaux qu'il a à sa disposition ; il ne peut y trouver que certaines limites dans lesquelles elle est contenue" (1870 [11]).
Stabilité géométrique   La résistance à la compression des pierres est souvent beaucoup plus grande que celle réellement nécessaire pour résister aux charges qu'elles supportent. Rondelet note ainsi : "la plupart des pierres à bâtir ont une force plus que suffisante pour les bâtiments ordinaires, et même pour les grands édifices" (1805 [25]). Ce qui est vrai pour la construction l'est aussi pour la restauration, et Halleux écrit à ce sujet : "Notre expérience de restauration nous a d'ailleurs montré que des pierres ne cèdent par écrasement que dans des circonstances manifestement pathologiques" (2002 [14]). Il est souligné avec force par de nombreux auteurs le caractère essentiellement géométrique de la stabilité des maçonneries, ne faisant pas intervenir la résistance des matériaux (Heyman 1995 [16]). La résistance à la compression de la maçonnerie n'interviendra donc que dans des cas particuliers, pour des édifices très chargés (par exemple les ponts - voir Delbecq 1983 [8]).
Objectif de l'étude   Nous savons donc avant même de commencer cette étude que les résultats décrits dans la littérature concernant la résistance des pierres n'apporteront qu'une information limitée en raison de la variabilité des résultats, et rarement utile en raison du caractère géométrique de la stabilité des maçonneries, et qui ne fait donc pas intervenir la résistance à la compression des pierres.
Cependant il existe des cas où on constate des fissures de compression sur les maçonneries. En l'absence d'essais en laboratoire faute de moyens, ou afin de déterminer si ces essais coûteux peuvent apporter une information utile, il nous semble opportun d'exposer le plus clairement possible les informations qu'il est possible d'obtenir dans les tables existantes.
Le but ici n'est donc pas de déterminer la résistance des pierres, mais plutôt de borner cette dernière. Il s'agit en quelque sorte comme pour le calcul à la rupture d'une approche statique par l'extérieur. Cette approche peut sembler insuffisante. En réalité, elle est utile dans bien des cas pour l'ingénieur chargé du diagnostic des structures anciennes, en permettant de réduire les possibles origines des désordres.

2  Vocabulaire

Avant de se plonger dans le cœur du sujet, commençons par définir quelques points de vocabulaire qui nous serons utiles dans la suite.
Calcaire   Le calcaire est une roche sédimentaire composée majoritairement de carbonate de calcium CaCO3. Il existe différent types de calcaire, qui peuvent être classés :
  • du point de vue minéralogique (siliceux, sableux, argileux, ferrugineux, magnésien, dolomitique...)
  • du point de vue de leur origine (oolithique, pisolithique, travertin, craie, grossier, lithographique, à entroques... )
  • du point de vue biologique (à nummulites, à rudistes, à encrines, à crinoïdes ...)
  • du point de vue de leur dureté (voir ci-dessous)
  • ...
Le marbre, la craie, le travertin, le tuf sont proches du calcaire, mais nous ne les intégrerons pas à notre étude. Les limites sont cependant floues entre ces matériaux et le simple calcaire, comme le montrent les appellations : calcaire crayeux, pierre calcaire marbrière... Le tuffeau (ou tufeau), qui peut être classé comme une craie, sera cependant considéré dans la suite, en raison de son emploi très répandu dans certaines régions.
Lambourde   Le terme lambourde désigne ici un calcaire tendre provenant des derniers bancs des carrières dans le bassin parisien. .
Vergelé   Certains dictionnaires font du vergelé un synonyme de lambourde. Pour d'autres, il s'agit d'un ancien terme faisant référence à un calcaire à milioles du bassin parisien, dont l'usage a disparu en raison de la confusion possible avec les pierres gélives (Noël 1968 [20]).
Molasse   Ce terme désigne ici un calcaire gréseux, ou un grès à ciment de calcaire. Il peut également faire référence à un défaut dans une pierre, et désigner une veine terreuse.
Banc   Noël définit un banc comme une "couche naturelle de pierre se terminant au-dessus et en-dessous par une séparation nette" (1968 [20]). La hauteur des bancs exploités varie suivant les carrières. Les plus courantes vont de 30cm à 200cm environ. On trouve également des bancs de hauteur beaucoup plus importante, par exemple dans le Vaucluse (jusqu'à 30m). Les bancs reçoivent des appellations commerciales, propres à chaque carrière. Les termes suivants sont également d'un emploi très courant, et accompagné du nom de la carrière d'extraction : banc franc, banc royal etc.
Dureté   La dureté d'une pierre est définie par un des terme suivant : très tendre, tendre, demi-ferme, ferme, dure, froide. Malgré les tentatives de donner une signification absolue à ces termes (voir l'ancienne norme NF B 10-001), ces derniers permettent principalement de distinguer les différents bancs d'une même carrière.
Poids volumique apparent   Le poids volumique apparent (appelé simplement poids volumique2 dans la suite), est défini comme le rapport entre le poids et le volume apparent, le poids étant mesuré après dessiccation jusqu'à obtention d'un poids constant de l'échantillon.
Résistance à la compression   Egalement appelée résistance à l'écrasement, elle désigne dans la suite de cet article la charge que peut reprendre une pierre posée sur sa face inférieure, libre sur ses quatre côtés, et chargée verticalement sur sa face supérieure.
Résistance moyenne et résistance caractéristique   La résistance moyenne correspond, comme son nom l'indique, à la valeur moyenne tirées des essais de compression. Pour que cette valeur moyenne ait un sens, il faut qu'un nombre minimal d'essais soit réalisés. La norme actuelle impose un miminum de 6 échantillons pour les tests (Norme NF EN 771-1 - Méthodes d'essai des éléments de maçonnerie - Partie 1 : Détermination de la résistance à la compression - Août 2011).
La résistance caractéristique n'est pas la résistance moyenne. La résistance caractéristique est généralement choisie égale au fractile 5%, c'est-à-dire pour simplifier que si 100 pierres étaient testées, environ 5 d'entre-elles auraient une résistance inférieure à la résistance caractéristique.
Les résistances donnés dans l'ensemble de cet article sont des résistances moyennes, et non des résistances caractéristiques. En effet, bien qu'il soit devenu l'usage pour tous les autres matériaux de construction (bois, métal, béton etc.) d'utiliser les valeurs caractéristiques, la pierre naturelle a gardé la spécificité d'être étudiée la plupart du temps à partir de ses valeurs moyennes.
Notations et unités   Nous utiliserons les notations suivantes dans cet article.
  • $\fuc $ : résistance à la compression des éléments de maçonneries (units : pierres, briques, etc.)
  • $\fut $ : résistance à la traction des éléments de maçonneries
  • $\fmc $ : résistance à la compression du mortier
  • $\rho $ : poids volumique apparent
  • $E$ : module d'Young (module d'élasticité)
  • $\nu $ : coefficient de Poisson
Nous utiliserons comme unité de contrainte les kilogrammes par centimètre carré (kg/cm2). 1kg/cm2 est égal3 à 1daN/cm2 ou 1bar. C'est l'unité traditionnelle utilisée pour le calcul des maçonneries, mais elle ne correspond plus aux unités couramment utilisées aujourd'hui dans les articles de recherche et les normes, où on lui préfère le mégapascal (MPa). La conversion entre ces deux unités est simple : 10bar = 1MPa.
L'ensemble des poids volumiques sont exprimés en kilogramme par mètre cube (kg/m3) dans la suite.